Film : Docteur Frankenstein de Paul McGuigan

Inspiré par le roman Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley

La créature de Frankenstein, la genèse

« C’est une époque d’innovations et de progrès. Les plus grands esprits de ce monde repoussent les frontières du possible jusqu’à explorer l’inconcevable. Mon ami Victor Frankenstein est l’un de ces hommes. » 

Docteur Frankenstein de Paul McGuigan

Je ne sais pas si vous avez déjà tenté d’évoquer un jour Frankenstein lors d’un repas de famille. Si la réponse est non, essayez donc, vous verrez, c’est amusant.

En général, la conversation commence bien. Tout en envoyant tourner le plateau de fromages, on se remémore affectueusement les quatre cents coups terribles de « Franky ».

Tout le monde le connaît, ce grand costaud. Personne n’a jamais lu le roman originel, mais son nom rappelle toujours quelque chose.

Et puis, alors que nous rions tous d’une niaiserie faussement intellectuelle, vient l’instant dramatique où la part de camembert retombe sur le rebord de l’assiette. L’oncle Fétide, assis à la place d’honneur, balance une énormité :

— Franky, c’est quand même une créature repoussante, non ? Il y a des mouches qui volettent autour des boulons de son crâne !

— … Quoi ? Mais pas du tout, Franky, c’est l’inventeur fou ! Pas la chose !

— Halte-là, vous ne parliez pas du chanteur qui a tourné La ferme aux célébrités ?…

Et ça dérape jusqu’au dessert. (Oui, ils sont sympas les déjeuners dans notre donjon.)

DONC.

Victor Frankenstein est bien l’homme aux éprouvettes, le scientifique en blouse, le génie illuminé.

Et ça tombe bien, parce que j’ai justement un film à vous présenter à son propos : Docteur Frankenstein de Paul McGuigan…

Cet article va sans doute être un long cri d’amour pour cette adaptation, même avec sa fin toute nulle et sa performance lamentable au box-office américain. Vous voilà mis en garde. 

Le pitch en quelques mots :

Tout commence par une histoire de Freaks, les monstres peuplant les cirques et les foires du vieux Londres tout gris.

Sous le chapiteau, se cache un bossu infortuné, maltraité le jour par une bande de clowns et occupé la nuit à lire des planches anatomiques. Un étage au dessus, vous avez également une trapéziste, qui ne chante pas comme dans The Greatest Showman, mais qui possède un minois adorable. Situation initiale.

Le bossu tombe amoureux. La trapéziste tombe en plein numéro. Paf, elle agonise. Alors, Roméo nous sort sa trousse de secours et entreprend de débloquer la trachée de Juliette avec une montre à gousset.

Roméo est rejoint par un inconnu venu des gradins. Les deux parviennent à sauver la donzelle in extremis grâce à une action combinée de clefs de bras. Puis, fiers d’eux, ils s’enfuient du cirque en se promettant de révolutionner la médecine anglaise.

Ainsi nait le duo fantasque d’Igor et Frankenstein.

Tout ira pour le mieux jusqu’au jour où la foudre frappera le transformateur… 

Le presque parfait.

C’est ma nouvelle conjugaison à moi, pour désigner les films qui auraient pu, mais en fait non.

Docteur Frankenstein, d’un point de vue cinématographique et scénaristique possède une superbe liste de qualités :

  • Une photographie impeccable
  • Une reconstitution historique du vieux Londres à vous tirer des larmes (cette vue sur Big Ben à la fin !)
  • Des costumes sublimes pour les acteurs,
  • Des décors immersifs au point où on aimerait traverser l’écran et y gambader follement
  • Un incipit qui dès les premières minutes vous choppe par la peau des fesses et ne vous lâche plus,
  • Des dialogues ciselés au diamant. (Carrément. On dirait du théâtre, c’est beau.)
  • Une intrigue dynamique dans toute la première moitié du film
  • Une progression des personnages assez éloquente et bouleversante
  • Un regard neuf sur l’histoire de Victor Frankenstein changeant des versions revues cinquante fois auparavant. Notamment parce que le récit n’est pas axé sur la créature, mais sur le docteur qui est ô combien plus intéressant.

Bref, j’ai kiffé, comme disent les jeunes. Ça m’arrive peut-être une dizaine de fois par an de rencontrer de nouveaux films capables de me tenir éveillé après une dure journée de labeur. Celui-là, il fait partie du lot.

Côté acteurs, j’ai trois noms à vous donner. Et ils sont tous trois formidables dans cette production.

Le premier, c’est Daniel Radcliffe alias Igor le bossu. Après son expérience Harry Potter qui s’est éternisée durant huit longues années, Radcliffe s’est reconverti en acteur de théâtre. On le retrouve encore de temps à autre au cinéma dans de joyeuses pépites comme Horns.

Le second s’appelle James McAvoy, notre Frankenstein du jour. Également théâtreux en puissance, il ne s’est fait remarquer au cinéma que sur le tard. Tout le monde a entendu parler de Split, où il incarne un gars souffrant d’un trouble dissociatif de l’identité et cumulant 23 personnalités différentes dans un seul corps. Mais McAvoy, c’est aussi le professeur Xavier dans la saga X-men. Ou encore Simon dans Trance de Danny Boyle. Un brave acteur qui gère les personnages tourmentés.

Le troisième est Andrew Scott, l’inspecteur Turpin. Propulsé sur les chemins de la gloire par son interprétation de Moriarty dans la série Sherlock, il enchaîne depuis les petits rôles dans les grands films et les grands rôles dans les petits films. (Spectre, 1917…) Pour lui, le défi de la prochaine décennie sera de se défaire de ses personnages stéréotypés et de s’essayer à de plus larges registres…

En premier rôle féminin, vous avez Jessica Brown Findlay. Sa performance est certes sympathique, mais l’histoire ne la met pas en avant, alors hum… pardonnez-moi de la passer à la trappe pour cette fois.

Un mot tout de même sur Paul McGuigan qui n’est autre que le réalisateur d’une bonne partie des épisodes de Sherlock et de Carnival Row. Ça vaut ce que ça vaut, mais si vous appréciez ces séries télévisées, peut-être serez-vous heureux de le retrouver aux manettes.

Vient le moment de cracher dans la soupe et de citer le défaut particulièrement épouvantable de ce film. Poils dressés sur les bras, cris d’effroi, préparez-vous…

Il ne se termine pas au bon moment.

Je m’explique : l’incipit nous laisse croire à une présentation introductive du mythe de Frankenstein, l’histoire avant l’histoire, les prémisses du monstre, son premier battement de cœur. En toute logique, le générique de fin aurait donc dû s’inviter lorsque le récit en arrive à la séquence du château foudroyé. Tout aurait été génial avec un fondu au noir pile au moment où la créature de Frankenstein s’éveille à la vie.

Mais non. Pour une raison qui m’échappe encore, ils ont voulu torcher en une demi-heure une seconde intrigue (la naissance et la mort de la chose), avec un combat grandiloquent et assez pathétique de nos trois personnages principaux. Cela n’était pas utile. Les effets spéciaux ne sont pas beaux, on n’a pas le temps de s’attacher à l’action qui est d’ailleurs peu lisible et surjouée, les scènes de nuit sont peu esthétiques…

Vous comprenez pourquoi je parle de presque parfait. Coupez-moi cette horrible fin que je ne saurai voir et je vous en remercierai.  

« Je rêve d’un monde où l’espoir remplace la peur, où un handicapé peut guérir et remarcher. Et si nous pouvions donner à chaque vie la chance qu’elle mérite ? »

Docteur Frankenstein de Paul McGuigan

Au nom de la science :

La version Frankenstein de Paul McGuigan aborde de manière divertissante une problématique large et actuelle : doit-on, quand on en possède le pouvoir, ramener les morts à la vie ?

De nos jours, nous nous écharpons toujours sur des questions éthiques, déontologiques, morales, alors même que nous ne détenons pas la capacité de faire revenir nos défunts du bon côté de la tombe.

Imaginez alors Frankenstein affronter les opinions de l’Angleterre chrétienne du 19e siècle en annonçant pouvoir accomplir l’impossible. L’affaire est chaud patate.

Le récit se construit autour de cette thématique centrale avec différentes variations :

  • Frankenstein a perdu son frère prématurément, dans des circonstances bien sûr dramatiques et aimerait le ressusciter.
  • Le bossu n’avait aucun avenir : Frankenstein a décidé de le soigner et de le guérir ce qui va changer sa vie. (un bon point pour la science)
  • La trapéziste accidentée était condamnée à mourir sans l’intervention des médecins. (un deuxième bon point pour la science)
  • Les expériences scientifiques du docteur ne semblent pas très heureuses d’être revenues à la vie…  (retour à la case départ)
  • L’inspecteur Turpin, fervent croyant, considère que la création est une œuvre divine à laquelle l’homme ne doit pas s’essayer. (… allez en prison)

Le récit polyphonique, où chacun va vouloir défendre son point de vue, nous embarque dans un débat quasi philosophique.

« Il y a une différence entre utiliser une machine pour restaurer une vie et créer une chose qui n’aurait jamais dû exister ! »

Docteur Frankenstein de Paul McGuigan

Au nom de l’horreur :

Philosophique oui, mais sans renoncer cependant à ses influences initiales gothiques. Car Frankenstein ou le Prométhée moderne, écrit par Mary Shelley en 1818 (mais publié anonymement et sous format épistolaire) est une œuvre gothique au même titre que Nosferatu ou plus récemment Dark Shadows.  

Mary Shelley a conçu le personnage du docteur Frankenstein durant des vacances en Suisse avec ses potes adulescents. Dont Lord Byron, un poète anglais qui se faisait alors, entre une raclette et deux fondues savoyardes, un trip sur les vampires.

Mary Shelley, elle, ne s’émoustillait pas des teints blafards et autres dents pointues. Elle préférait l’idée d’assembler un monstre morceau par morceau, en mélangeant des organes humains avec des organes animaux, et avec pour obsession globale de créer la vie.

Bon, pour l’anecdote, elle était aussi chamboulée par le décès de son enfant, avait consommé de l’opium la veille et lu des bouquins très théoriques sur la loi de l’évolution et le darwinisme. Ça l’a un peu perturbée dans son sommeil, les cauchemars l’ont houspillée et au petit matin, en tartinant son pain de confiture, elle nous a pondu un sacré récit d’horreur comme si de rien n’était.

Le film Docteur Frankenstein de McGuigan s’éloigne beaucoup de l’intrigue du roman tout en conservant des éléments classiques du courant artistique gothique. Quelques scènes visuellement dérangeantes : membres mutilés, gros plans sur des organes qui bougent encore, visage énucléé, poche de pus que l’on évacue au siphon, corps monstrueux pourvus de deux cœurs, quatre poumons… Puis des paysages balayés par la tempête, un vieux château écossais qui tombe en ruine, un Londres sombre, un manoir somptueux avec des pièces surchargées étouffantes…

Bizarrement, ce film a été classé à plusieurs reprises dans la catégorie « épouvante », alors qu’il n’est pas destiné à effrayer. Les films répondant à la mouvance gothique ne sont pas là pour faire hurler, mais pour créer des ambiances desquelles va naitre un sentiment d’angoisse.

Pour moi, je considère qu’il s’agit d’un parfait récit fantastique où le surnaturel survient alors que l’on n’y croit plus. C’est aussi un bon thriller pour ceux qui parviennent à rentrer dans l’histoire et à découvrir le personnage très humain de Frankenstein.

« Igor, aide-moi à changer le monde ! »

Docteur Frankenstein de Paul McGuigan

Au nom de l’amitié :

Enfin, et pour terminer, il faut préciser que le serviteur Igor, campé à l’écran par Daniel Radcliffe, est une création pour le film. Ce serviteur n’a jamais existé dans aucun des récits précédents.

L’intention du scénariste était de concevoir un narrateur externe au couple créateur/créature, afin de pouvoir s’exprimer de manière plus… objective et de présenter la personnalité de Frankenstein en échappant à ses délires tourmentés.

Ainsi, ce n’est pas le docteur qui parle. Igor le serviteur nous raconte leur petit quotidien bien sympathique de scientifiques fous. Avec leurs doutes, leurs excès, leurs trouvailles géniales et leurs disputes.

Notre bossu se rend bien compte que Frankenstein perd pied et sombre dans la folie. Cependant, il n’oublie pas aussi qu’il lui doit la vie. Frankenstein l’a réparé, il n’est que sa marionnette. Alors il cherche à le conseiller, à l’aiguiller, et quand il ne peut plus rien faire d’autre, il l’accompagne en Écosse tout en sachant qu’ils vont tous les deux y laisser leur peau.

On pourrait croire que c’est gnangnan, mais pas du tout. C’est ce que l’on nomme une « bromance » (brother/romance) Traduit par « amitié virile » en québécois, c’est un concept très prisé dans les pays anglosaxons et moins développé chez nous autres francophones.

À mon sens, Paul McGuigan et son équipe ont fait là un excellent choix narratif.

« Il est vivant ! » 

Docteur Frankenstein de Paul McGuigan

Parlons monstre :

J’aborderais la créature dans un article ultérieur, promis.

En attendant et puisqu’on parle genèse, je souhaiterais simplement dire quelques mots à propos du docteur Frankenstein, qui est lui aussi un monstre, dépassé par son désir de créer.

Sa caractéristique principale est de vouloir à tout prix bâtir une « chose », qu’il ne voudra plus tuer ensuite, car il va en tomber d’une certaine manière amoureux. Sa passion à la fois pour son propre égo et pour ses sujets d’expériences va le rendre dangereux. Quand on lui indique que son monstre servira d’arme, il s’en fiche. L’usage importe peu, tant que l’expérience aboutisse. Presque possédé, il finira par effrayer ses rares amis et à être renié par ses proches.

Si ce type de monstre se marie très bien avec le genre du thriller, nombreux sont les récits abordant les paires créateur/créature, avec sentiments latents entre les deux :

  • Le Fantôme de l’Opéra : un monstre cherche à créer une cantatrice et à se faire aimer d’elle. Film d’horreur, même si davantage comédie romantique de nos jours…
  • Galathée et Pygmalion (Les métamorphoses d’Ovide) : un homme va tomber amoureux de la statue créée de ses petites mains et va implorer les dieux de lui donner vie.
  • Pinocchio de Carlo Collodi : un menuisier va considérer sa marionnette en bois comme son propre enfant, jusqu’à ce qu’une fée le transforme en être vivant.
  • My fair lady : comédie musicale génialissime, dans laquelle un linguiste va sortir du caniveau une fille des rues pour l’instruire et l’élever au rang de grande dame. (Et que ça flirte, et que ça roucoule…)
  • Et pourquoi pas Pretty woman où une escort girl décide de changer de métier, sous l’influence de son riche protecteur ?

Si vous souhaitez rester dans le même genre d’univers que Docteur Frankenstein, je ne peux que vous conseillez Freaks, la monstrueuse parade de Tod Browning, The Greatest Showman tout en musique ou encore Le Prestige de Nolan et Elephant Man de Lynch.

Un autre roman très curieux que l’on pourrait mettre en rapport : le Valet de Sade de Nikolaj Frobenius. (L’auteur norvégien qui a écrit aussi Insomnia, adapté a posteriori par Erik Skjoldbjærg puis par Christopher Nolan.)

Et si vous voulez poursuivre sur une histoire de scientifique fou, la meilleure du monde est L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, écrite par Robert Louis Stevenson en 1886.

Existe aussi en version théâtrale, pour le jour où il y aura de nouveau des théâtres. =)

Sources : Allociné, Wikipédia, Copyright photos Twentieth Century Fox France

4 commentaires sur « Film : Docteur Frankenstein de Paul McGuigan »

  1. Toujours aussi intéressant, ces articles. Tu m’as vraiment donné envie de le voir, même si j’ai bien compris que je devais stopper le visionnage une demi heure avant la fin ! ^^

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