Film : Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau

Inspiré librement et fort illégalement de Dracula, par Bram Stoker

Nosferatu : l’ancêtre des vampires

« Mettez-vous en route, mon jeune ami, et faites bon voyage au pays des fantômes… Même si cela coute un peu d’efforts, de sueur… et peut-être un peu de sang… »

Nosferatu de Murnau

Hou, tremblez, vous qui craignez le confinement ! Aujourd’hui, c’est thématique pandémie. Nous allons parler peste, rats, araignées, plantes carnivores, et accessoirement vampire.

Nosferatu de Murnau, version 1922, fait partie des grands classiques du cinéma d’horreur.

Le pitch, en quelques mots :

Un jeune et fougueux agent immobilier de Bremen (Allemagne) est contraint de délaisser sa fiancée pour une mission spéciale Transylvanie. Nosferatu a décidé d’acquérir une résidence secondaire dans la bourgade : une magnifique bâtisse abandonnée que l’on aurait pu tout aussi bien démolir…

Le comte ayant de légers problèmes de locomotion et la poste n’étant pas au point à cette époque, notre héros doit lui porter le contrat de vente directement à son château situé au fin fond de la Roumanie.

Même pas peur ! Peu importe que la promesse d’achat soit écrite en hiéroglyphes avec des lettres de sang. (en gros) Peu importe les avertissements des villageois qui insistent sur l’appellation « pays des fantômes ». Notre héros y va, sûr de lui, à cheval et à l’ancienne, tout en adressant à chaque étape de son voyage des correspondances fiévreuses à sa dulcinée.  

Le spectateur : « Non, triste sire ! C’est un piège ! »  

Entre temps, notre héros découvre au hasard d’une auberge le célèbre « Livre des vampires ».

Le spectateur : « AH ! COMME PAR HASARD ! » »

Puis le héros se cache sous les draps en entendant chanter le loup.

Le spectateur : « L’est mal barré. »

Enfin, armé de tout son courage et d’un peu de naïveté, il passe le pont et pénètre dans le maudit pays.

Fin de la première partie. Et je ne vous raconte pas la suite qui est, promis, archi palpitante.

Mais si vous voulez tout savoir, gros spoil de tonnerre de ouf. Nosferatu a deux dents plus pointues que les autres.

Le sudoku a été inventé par les vampires. Le saviez-vous ?
Murnau, ce rebelle !

Je commence par avouer mon pieux mensonge. Nosferatu n’est pas le premier vampire de ce bas monde, le vrai n°1, c’est Dracula du livre de Bram Stoker. Sauf que la première version cinématographique de Dracula s’est perdue et que nous reste… celle-ci, la n°2. Nosferatu de Murnau est une adaptation pirate qui a fait l’objet de plusieurs procès pour plagiat. 

La Justice s’est prononcée à diverses reprises pour la destruction de ce film.

En juillet 1925, toutes les copies ont été supprimées. Et pourtant, en octobre de la même année, Nosferatu était diffusé en festival en Angleterre. (Damn’ !)

En 1929, les pellicules retrouvées étaient à nouveau zigouillées, brûlées, piétinées, transpercées d’un pieu et assaisonnées de gousses d’ail.  

Mais à compter du décès de la veuve Stoker, de nouveaux exemplaires ont été projetés lors de séances secrètes.

À partir de 1984, Nosferatu a été officiellement restauré en version teintée par la fondation Murnau, fuck le jugement et les droits d’auteur. Après tout, c’est un des plus grands films d’horreur muets de tous les temps, il fallait bien le sauver pour la postérité !

Cette sombre histoire judiciaire nous apprend deux choses : les vampires sont immortels et les cinéphiles finissent toujours par l’emporter.

Une pellicule maudite :

Deuxième point, des versions de Nosferatu de Murnau, il en existe un certain nombre. Des restaurées, des pas restaurées… S’agissant d’un muet, les dialogues sont écrits sous forme de panneaux. Ce qui signifie que chaque pays voulant traduire le film coupait dans la pellicule et faisait des rajouts dans sa propre langue. Parfois, la transcription en modifiait le sens, de temps à autre des morceaux étaient carrément paumés par le stagiaire de troisième…

La partition musicale a également été perdue et réécrite à plusieurs reprises.

Ce film est une heureuse malédiction à lui tout seul. Mais il a survécu à tout.

Personnellement, j’ai eu l’occasion d’en visionner une version en français teintée, jadis, et hier, ce qui devait être une version anglaise en noir et blanc qui crépite.

Le réalisateur Murnau étant allemand, j’imagine qu’il faudrait que j’en recherche une dans la langue de Goethe pour avoir accès aux textes d’origine. Pfiou ! Je vous avoue que j’ai la flemme, d’autant que je ne parle pas un mot d’allemand.

La version anglaise est très sympa. Je vous conseille donc celle-ci qui est facilement accessible.

L’art du silence :

Pour ceux qui n’ont jamais vu de films muets, précisons tout de suite que « muet » ne signifie pas que l’on entend aboyer le chien du voisin, pendant que deux acteurs s’agitent à l’écran dans des mimes tragicomiques.

Un film muet s’accompagne généralement de partitions musicales. C’est le cas pour Nosferatu. Vous aurez le droit à des percussions lors des scènes de balades à cheval et une sorte de clarinette exotique pour les séquences avec nos marins venus d’Orient. À chaque thème musical correspond un personnage ou une émotion.

Ensuite, il existe de très nombreux dialogues. Certains panneaux sont poétiques et ont marqué des générations de cinéphiles. Vous voyez les vieux panneaux qui fleurissent sur les réseaux sociaux avec des citations allant de Confucius à Kim Glow ? Ben à l’époque, les panneaux des films muets provoquaient le même genre d’émoi chez nos compatriotes français.

Jacques Lourcelles écrivait dans son dictionnaire du cinéma (Éditions Robert Laffont, 1992) : « Film aux multiples aspects, Nosferatu est avant tout un poème métaphysique dans lequel les forces de la mort ont vocation — une vocation inexorable — d’attirer à elles, d’aspirer, d’absorber les forces de vie. » 

André Breton, surréaliste notoire, rêvait, pour sa part, de la cravate Nosferatu, inspirée par le maquillage de l’acteur (mais qui se trouvait en rupture de stock, comme le film que plus personne n’avait le droit de voir.) On peut encore citer Robert Desnos qui a consacré plusieurs articles à ce film, Georges Sadoul qui semblait le connaître par cœur (aurait-il possédé une des copies illicites ?)…

Ce panneau-là, surtout, est devenu ultra célèbre, au point où vous pourrez le retrouver aujourd’hui adapté en poster ou sur des mugs qui changent de couleur une fois chauffés au micro-ondes :

L’instant fracassant où notre héros va franchir le pont symbolise son entrée dans le pays des esprits. À l’écran, la scène est particulièrement croustillante parce qu’on l’oblige à descendre de sa diligence, à traverser à pied, et ensuite, dès qu’il est parvenu de l’autre côté de la rivière, une seconde diligence conduite par un suppôt de Satan vient le rechercher. Non seulement son nouveau cocher est bizarre dans son accoutrement, mais en plus, la diligence elle-même va avancer en mode accéléré. Une fois passé le pont, tout devient surnaturel.

Jusqu’à atterrir dans un bon vieux château hanté des Carpates. (En vérité, celui d’Orava en Slovaquie) Même l’horloge qui carillonne est affublée d’un squelette sculpté.

Il y a une crypte, avec un cercueil ouvert…

Bref, ne franchissez pas le pont.

Par contre, appréciez cette citation et le second sens qui y a été associé par la suite. Elle a souvent été reprise comme métaphore du cinéma, car, lorsque nous entrons dans une salle obscure, nous traversons nous aussi : nous abandonnons le réel pour partir à la rencontre de la fiction.

Max Schreck… Regardez comme l’encadrement de la porte gothique recrée une impression de déjà vu ! Est-ce que ça ne vous rappelle pas un cercueil ?
Horreur, fantastique, surréalisme…

Nosferatu est un film d’horreur (qui fait plutôt rire, aujourd’hui), mais c’est surtout un très bon film fantastique. Souvenez-vous, le fantastique se définit par l’introduction progressive de l’extraordinaire dans un univers réaliste.

Ce passage du pont est le point de bascule. Vous quittez votre joyeuse auberge traditionnelle pour arriver dans un monde où même les loups ont des têtes bizarres. Le comte Nosferatu, au demeurant un hôte prévenant, va succomber à la folie dès que notre protagoniste va se couper un bout de doigt à la place de sa tranche de pain.

Et puis après, le surnaturel vous colle au basque. Lorsque vous tentez de vous échapper, il va vous poursuivre jusqu’à chez vous. On l’accepte assez facilement, dans la mesure où on sait que le héros a ouvert une boîte de Pandore. Jamais il n’aurait dû pénétrer dans le monde des esprits et signer un contrat avec un être maléfique.

Ce film qui appartient au mouvement de l’expressionnisme allemand du début du vingtième siècle est également devenu une référence du courant artistique gothique.

On y retrouve des éléments visuels caractéristiques : château ancien, immeuble en ruine, rats, araignées, plantes carnivores, mer déchainée, panoramas de nuit, loups, peste, prison, cercueils, processions funéraires et évidemment vampires… Bref, tout ce qui est à la fois déprimant et tristement poétique.

Construction de l’image : Nosferatu en contreplongée, pour le rendre dominant. La voilure et les mats du navire créent un triangle encadrant encore le personnage…
Un casting de légendes :

Savez-vous que l’acteur incarnant Nosferatu, Max Schreck, a longtemps été considéré lui-même comme un vampire ?

C’était une volonté de Murnau. Il avait demandé à son premier rôle d’alimenter la rumeur en apparaissant toujours costumé et maquillé sur le plateau de tournage, et jamais en civil. Ainsi, le personnel employé a fini par se poser des questions, surtout quand on leur a juré mordicus que c’était un « sang pour sang vampire ». En plus, Schreck n’était à l’époque pas du tout connu. Son nom en allemand se traduit par « effroi ». Beaucoup ont cru qu’il s’agissait d’un pseudonyme destiné à préserver l’anonymat du vampire.

Un film d’horreur a même été conçu sur le sujet, partant du postulat de base que les commérages disaient vrai. L’ombre du vampire, par Merighe, sorti en 2000.

Dans le même genre, vous savez que la tête de Murnau, le réalisateur, a été volée ? (Il était mort avant, je vous rassure.) Quelqu’un s’est introduit en 2015 dans son caveau et a dérobé son crâne. Peut-être pour l’empêcher de se réincarner lui aussi en vampire, qui sait ? Ils auraient retrouvé des traces de cire autour de sa sépulture, laissant penser que des bougies auraient pu être brûlées pour un rituel occulte. (Toute l’histoire ici)

Construction de l’image : Nosferatu barre la seule issue possible représentée par le carré de ciel bleu. Le marin ne le voit pas, ce qui crée du suspense. Plan toujours en contreplongée.
Figure de style :

Nosferatu est le parfait exemple du procédé que l’on qualifie d’« ironie dramatique ».

En clair, c’est quand le spectateur sait à l’avance ce qui va se produire. Par exemple, si vous regardez Titanic de Cameron, vous ne vous attendez pas à voir un happy end au pied de la statue de la Liberté.

Dans Nosferatu, n’importe qui comprend au bout de dix minutes que l’on cause vampire. Mais le héros, non.

Quand son patron l’envoie en Transylvanie, en lui disant que ça lui coutera un peu de sueur « et peut-être un peu de sang », notre héros va rire comme un âne. Lorsqu’il va se faire bouffer le cou après une douce nuit paisible dans ce château hanté, il va accuser les terribles moustiques de Transylvanie… Voili voilou… Ce n’est pas une flèche.

Et c’est tout à fait volontaire de la part du scénariste. Le genre de l’horreur flirte souvent aussi avec l’humour et l’ironie dramatique permet de donner une dimension particulière à l’histoire, d’instaurer un contraste entre les scènes de tension et celles plus légères. D’ajouter du suspense également puisqu’on ne cesse de se demander quand le héros va comprendre et réagir. Le but n’est pas de créer des séquences surprises où le spectateur va hurler en voyant apparaître un bout de vampire. Nous ne sommes pas dans le registre de l’effroi, mais dans celui de l’angoisse.

De nos jours, on parle beaucoup du « no spoil », certains prétendent que cela ne sert à rien de lire un livre si on en connaît déjà la fin, même combat pour les films. Eh bien, certaines intrigues sont conçues pour nous spoiler dès le début, ce qui ne rend pas le tout moins intéressant.

La prochaine fois que quelqu’un vous lancera un débat sur ce sujet, vous pourrez toujours frimer en prétextant que vous ne spoilez pas, que vous êtes juste dramatiquement ironique.  (Ps : dans Avengers, les gentils gagnent à la fin.)

Un portrait presque ordinaire…
Le monstre, maintenant.

Nosferatu (également nommé Comte Orlok ou Orlock) est une jolie interprétation du vampire traditionnel.

Physiquement : Nosferatu est vieux, chauve, avec des dents en moins, des griffes en plus, une mine cadavérique et un nez si pointu qu’on se demande si ce n’est pas lui qui perce le cou de ses victimes. Il a des oreilles d’elfe.

Exit les canines et la cape. Vive les incisives de rat. Nosferatu est le rongeur de la nuit.

D’ailleurs là où il se rend, les rats le suivent. (Et la peste, la maladie, la fin du monde…)

La pandémie le suit toujours de près. Nosferatu est un fléau incarné, il entraîne nécessairement la mort dans son sillage, même sans le vouloir.

(D’ailleurs, le coronavirus… Personne n’a évoqué l’hypothèse vampire… Vérifiez quand même qu’aucun nouveau voisin n’a emménagé dans l’immeuble abandonné près de chez vous. J’dis ça, j’dis rien.)

Nosferatu s’habille plutôt modestement et est presque passe-partout. (Bon hormis le fait que PERSONNE ne semble s’apercevoir qu’il n’est pas normal.) Il possède un sbire maléfique, qui se balade avec son cercueil. (En plein jour, en pleine ville. PERSONNE ne le voit ! Foutue ironie dramatique ! )

Cette normalité du monstre est toujours un souhait de Murnau, qui voulait que son Nosferatu puisse s’intégrer à la société en dehors des veillées d’Halloween. Jamais ce monstre ne tombe dans le ridicule.

Évidemment, il craint la lumière du jour et ne sort que la nuit. À l’écran, Nosferatu n’apparaît presque jamais. De lui, on n’aperçoit que son ombre et ses grandes mains griffues.

Il a un léger problème avec les portes (qu’il ouvre par télépathie) avec le sang (son péché mignon) et les femmes (comme James Bond).

L’homme ordinaire devient difforme. On ne voit que l’ombre !

Évoquer tous les films ou livres de vampires serait extrêmement compliqué tant il y a d’œuvres différentes sur le sujet. Tapez Dracula sur Google et vous aurez un peu plus de 62 millions de résultats.

Si vous souhaitez vous replonger dans l’univers des vampires, regardez Dracula de Tod Browning de 1931.

Dans la veine littéraire, vous avez toute la saga Anne Rice à disposition, avec son célèbre Entretien avec un vampire.

Il existe deux autres Nosferatu : Nosferatu le fantôme de la nuit, le remake de Werner Herzog et Nosferatu à Venise de Lucidi, qui est sans véritable rapport avec notre Nosferatu à nous, sauf le titre.

Si vous désirez retrouver des influences de Nosferatu au cinéma, le meilleur exemple que je puisse vous citer, ce sont les films de Tim Burton.

Chaque film burtonien comporte un clin d’œil à Nosferatu, que ce soit un jeu d’ombre, la construction d’un plan, des effets spéciaux empruntés à Murnau. Par exemple, dans Dark Shadows, il s’agit de la scène où Barnabas le vampire va se relever droit comme un I de son cercueil.

Un autre film récent avec un clin d’œil à Nosferatu, c’est En Avant ! de Scanlon, un Pixar. Les protagonistes doivent franchir un gouffre pour entrer dans le territoire surnaturel où ils pourront accomplir leur quête. Même principe, on crée un point de passage entre deux mondes. On traverse pour rencontrer des fantômes.

Sachez qu’il existe également des ciné-concerts Nosferatu, si vous voulez le revoir sur grand écran.

Sources : Allociné, Wikipédia, les photos sont sauf erreur copyright Films sans Frontières. Vous avez aussi un bon dossier au sujet du film ici (en anglais).

11 commentaires sur « Film : Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau »

  1. Tu m’as bien fait rire avec cet article. 😉
    Quand tu évoques le caractère troublant des histoires autour du film (les hiéroglyphes qui seraient plutôt du genre symboles ésotériques), il me semble qu’il manque tout de même le personnage à l’origine de cette « symphonie des grauens » : Albin Grau, producteur, décorateur et costumier du film, qui était aussi un membre notoire d’une société secrète berlinoise (la Fraternitas Saturni), maître de la « loge pansophique des chercheurs de lumière », et accessoirement à l’origine de ces fameux gribouillis sur le papier. C’est lui qui va chercher Murnau et lui propose de tourner le film. Il y investit toute sa fortune au point de ne plus avoir assez pour payer les ayant droit.
    Dire que ce chef d’œuvre (qui m’avait terrifié dans ma jeunesse, et pourtant je ne l’ai pas vu a sa sortie je te rassure… Je ne dors pas non plus dans un cercueil) a failli disparaître totalement.

    Aimé par 1 personne

  2. C’est fou cette histoire ! Je ne savais pas du tout pour Albin Grau ! Tu as des pistes à creuser pour en savoir plus là dessus ? Si ça se trouve, on a peut-être une piste sérieuse pour retrouver le crâne de Murnau. :p

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  3. Moi aussi, j’ai bien ri ! ^^
    Surtout avec cette phrase : « La prochaine fois que quelqu’un vous lancera un débat sur ce sujet, vous pourrez toujours frimer en prétextant que vous ne spoilez pas, que vous êtes juste dramatiquement ironique ». D’ailleurs, as-tu vu Alabama Monroe ? Non, parce qu’à la fin, elle… Raaaaa, je n’ose pas (Je ne suis que dramatiquement sympathique ;o) ) !

    Aimé par 1 personne

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