Film : Instinct de survie – The Shallows de Jaume Collet-Serra

D’après un scénario d’Anthony Jaswinski

Requins et mégalodons : la menace fantôme

Ceci n’est pas un crossover de Star Wars. Je troque l’étoile noire contre une étoile de mer. Je brandis mon corail qui pique en guise de sabre laser, et je vous emmène dans l’espace infini des abysses océaniques. 

Comme c’est bientôt l’été et que nous attendons tous de pouvoir retourner à la plage… Je vous propose un bon nanar pour se mettre dans l’ambiance : Instinct de survie — The Shallows de Jaume Collet-Serra.

(Deux titres, car ils n’ont pas réussi à se décider pour un seul.)

Le pitch, en quelques mots :

Attention, ça va être très rapide :

Une jolie fille s’en va surfer en bord de mer. Elle se fait attaquer par un requin. Elle tente de survivre en grimpant sur un rocher.

Voilà, ça y est, c’est fini. C’est un scénario « post-it », il est probable d’ailleurs que les dialogues tiennent pour leur part sur trois feuilles d’essuie-tout.  

On est d’accord que, pour que la jolie fille se mette en danger, elle doit se retrouver seule et démunie. Après avoir salué son chauffeur Uber et deux autres gars qui auront vite fait de repartir, mademoiselle continue de taquiner la vague dans l’isolement le plus complet.

Face à l’absence de présence humaine, notre héroïne va donc essentiellement pousser des « aïe », des « ouïe », à la limite des « aaah ! » et le restant du temps, converser avec une mouette. 

« Je ne mourrai pas ici. »

Instinct de survie – The Shallows de Jaume Collet-Serra
Jaws, l’ancêtre :

Pourquoi va-t-on regarder ce film minimaliste ? Eh bien, parce que ceci est un bon thriller horrifique.

Instinct de survie – The Shallows est l’arrière petit neveu de Jaws au seizième degré.

On y retrouve les éléments clefs de la franchise et quelques notes musicales qui évoquent les partitions mythiques.

Les Dents de la mer de Steven Spielberg (adapté d’un roman d’ailleurs peu connu de Peter Benchley) est devenu un incontournable du cinéma.

Depuis 1975, il a été suivi de trois épisodes, plus d’autres franchises surfant sur le même concept : Shark Attack n°1 à n°3, Jurassic Shark, Mega Shark contre la pieuvre géante, Sharktopus (je vous laisse imaginer la bête) Shark 3D, Super Shark, Malibu Shark (rien à voir avec le cocktail), Killer Shark, Ghost Shark, Sharknado (des requins dans des tornades !)…

Bref, il y a autant de jeux de mots sur les titres de films de requins, que sur les enseignes des magasins de coiffure avec tif ou hair.

On a aussi créé un spectacle dansant : Giant Killer Shark : The Musical

Selon Retour vers le futur n°2, 2015 devait être l’année de sortie du 19e volet des Dents de la mer, réalisé par Max Spielberg (le fils de Steven).

Il existe donc une constante inébranlable : nous chérissons les films de requins. Nous nous complaisons à voir un gros poisson de taille plus méchante que le filet de cabillaud de nos assiettes. Et nous aimons toujours autant nous faire peur, en nous racontant des histoires de monstres.

D’ailleurs, si vous allez à la plage, hein, cet été… faites attention. On ne sait jamais. J’ai entendu dire que de drôles de bestioles avaient déconfiné des abysses en quelques mois pour venir hanter notre littoral.  

Vous croyez que je plaisante ? Depuis 1847, la France a connu quatre attaques de requins, dont une s’est avérée mortelle. Vous y penserez lorsque vous mettrez le pied dans l’eau, ne me remerciez pas.

 « Cette année, ce qui était dans les profondeurs va remonter à la surface. »

Instinct de survie – The Shallows de Jaume Collet-Serra
Le film d’horreur parodique :

On le sait depuis Scream (et même avant) : l’horreur et l’humour ont plus d’une lettre en commun. Souvent, lorsqu’on doit jouer à se faire peur, on aime bien éclater de rire de temps en temps. On se moque de celui qui sursaute et on plaisante aussi parce que le scénario est toujours empreint d’une certaine ironie dramatique (comme dans Nosferatu, le plus vieux des films de vampire). On s’attend aux attaques des méchants. C’est un peu pour ça qu’on paie le ticket de cinoche, quand même !

Instinct de survie – The Shallows se conforme à la règle : il offre aux spectateurs une dose d’humour appréciable et des situations pour le moins ubuesques, tantôt pour relâcher la pression, tantôt pour l’exacerber. Au moins trois quatre fois dans le film, vous allez marmonner des « nooon, pas possible ! ». Eh bien, si, c’est possible ! Une héroïne qui escalade un cadavre de baleine pour échapper aux morsures du requin, ce n’est absolument pas anormal. Une super femme fatale qui va challenger la bête à la natation avec une jambe à moitié bouffée ? Possible, je vous dis. Tenir douze heures sur son caillou sans crever de l’hémorragie ? Et le requin qui continue de lui tourner autour dans une vendetta personnelle ? Roh ! Bande d’incrédules.

C’est parodique, ne cherchez pas plus loin. On aime jouer avec les limites et même, les franchir un peu, pour offrir un résultat visuel. Tant que c’est beau et drôle, on tolère.

Honnêtement, si le film se prenait vraiment au sérieux de bout en bout, il ne vaudrait pas la peine qu’on le regarde. Cette prise de distance est nécessaire pour supporter la tension nerveuse de la femme qui se fait petit à petit grignoter par la bête. Le réalisme n’a pas sa place au rayon de l’horreur, à moins que vous ne vous intéressiez aux terribles snuff movies… Mais ceci est une autre histoire.

Vole, gamine, vole !  

Ce film entretient une savante symbolique entre la femme et la mouette. (Bon OK, le goéland à bec rouge, plus exactement. Mais dans mon esprit païen, c’est une mouette.)

On vous l’explique en début de film : l’héroïne est dévorée par les soucis, mère décédée d’un cancer, études scolaires en médecine en stand bail, petite sœur à sa charge (surnommée « crevette » pour rester dans la thématique), meilleure copine qui se fout bien d’elle… Elle a les ailes coupées, en quelque sorte.

Figurez-vous que le principal second rôle féminin est un oiseau souffrant d’une luxation de l’aile. Résultat miss coincée sur son rocher va pouvoir deviser philosophiquement de la vacuité de l’existence avec cette bestiole, elle aussi dans un sale état. Elles vont vider ensemble leurs paquets de mouchoirs, pleurer un coup, rire de concert, et ensuite s’échapper main dans la plume.

Je vais vous spoiler un peu : la mouette survit et pourra après sa guérison, recommencer à voler. Devinez quel sort est réservé à mademoiselle…

C’est un soulagement total pour le spectateur. Je crois que nous aurions stoppé net le film, si quelque chose était arrivé à cette mouette.

Cette connexion en tout cas est essentielle au récit, déjà parce qu’il fallait créer un interlocuteur à cette misérable sirène échouée sur son rocher, et ensuite car elle nous permet de comprendre l’évolution et la transformation de la narratrice à l’issue de l’intrigue, sans insister trop lourdement sur « j’ai vaincu mes angoisses en même temps que le mégalodon. »

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, cet oiseau n’est pas un élément comique (le réalisateur a même précisé à ce propos qu’il ne voulait pas que son actrice ressemble à une « Blanche Neige » causant aux animaux), mais une chouette métaphore filée tout à fait réfléchie.   

Le secret de l’univers ! Quand je vous dis qu’il y a de l’humour…
Mac Gyver au féminin :  

Dans ce nanar, vous allez apprendre à vous recoudre la jambe avec vos boucles d’oreille. (Ne tentez pas sans les conseils d’un bon expert en effets spéciaux)

Je ne plaisante pas : miss héroïne va devoir faire preuve d’une ingéniosité extrême pour réussir à survivre alors que tout se déchaîne autour d’elle. Elle ne va pouvoir compter que sur ce qu’elle possède sous la main. Autrement dit, comme elle est presque nue avec son sexy deux-pièces moulant, elle n’a pas beaucoup de ressources.

(Sauf à réussir à attraper des tortues de mer et à les attacher les unes aux autres pour en faire un radeau — avec les poils de son dos —, comme Jack Sparrow.)

Vous allez donc assister à un très bel exercice scénaristique qui consiste à trouver tout ce qui peut permettre la survie de l’héroïne dans une situation désespérée. Et je vous jure, elle a plein de bonnes idées.

Sur ce point, ce film n’est pas sans rappeler Buried, l’homme enterré vivant par erreur et qui cherchait un moyen pour s’extraire de son cercueil. (Une heure et demie de chouette claustrophobie) L’acteur de Buried, Ryan Reynolds est le mari de l’actrice d’Instinct de survie — The Shallows, Blake Lively. C’est lui qui a conseillé d’accepter ce rôle, en lui précisant que les films survivors sont des expériences éprouvantes et enrichissantes pour les acteurs. (Le vil ! J’suis sûr qu’il avait juste envie de la voir galérer !)

Il existe donc — peut-être involontairement — une similarité entre les deux films, au moins dans le concept de base, l’exploitation du décor et la manière d’exprimer son désespoir.   

De l’esthétique :  

Enfin et puisqu’il faut le dire : ce film est extrêmement beau visuellement. On peut dire que tous les effets spéciaux sont réussis, qu’ils soient gores, angoissants ou poétiques. Il y a un travail du son aussi très intéressant, notamment pour les scènes sous-marines.

Bon, oui hein, « on voit bien que le requin est faux ». C’est ce qu’on raconte à propos de tous les films de squales et celui-là a évidemment été créé à l’ordinateur d’après des modèles réels. N’empêche que les séquences de surf sont rafraichissantes et que les plans récurrents sur les fesses et le décolleté de mademoiselle vont en passionner plus d’un. (si vous vouliez un film échappant à ces clichés, ce ne sera pas celui là.)

Le tout est propre visuellement. Il n’y a aucune image qui ne donne l’impression de ne pas avoir été architravaillée et même les quelques scènes tournées en found footage (technique classique du film d’horreur) sont agréables à visionner.

Je note aussi les incrustations de SMS et autres photos du téléphone portable à l’écran dans le début du film, qui offre un bon rythme au récit et évite à l’actrice de lire à voix haute ce qu’elle voit dans le creux de sa main.

Ce film saura vous intriguer et vous captiver, c’est promis !

« Certains jours, il vaut mieux éviter la plage. »

Instinct de survie – The Shallows de Jaume Collet-Serra
Parlons monstre :

Les requins au cinéma sont toujours des monstres très critiqués. Une angoisse collective est née autour d’eux, alimentée par ces récits de fiction, les décriant comme des prédateurs. Résultat : aujourd’hui, dès qu’on voit un bout d’aileron, on brandit la canne à pêche, le bazooka et le char d’assaut flottant. Les films de squale sont responsables en partie de l’extermination d’une espèce déjà en voie d’extinction.

Contrairement à ce qu’on aime croire, les requins ne sont absolument pas des mangeurs d’hommes.

Vous avez quatre morts par attaque de requin par an, en moyenne. Les chiens, en comparaison, provoquent 25 000 décès par an. Faites vos calculs et soyez en paix avec nos amis des mers.

Pourtant, et depuis le Moyen Âge, la légende du requin mangeur d’hommes persiste :

En 1554, Guillaume Rondelet (mon préféré) écrivait dans son Histoire entière des poissons :

« Ce poisson mange les autres, il est très goulu, il dévore les hommes entiers, comme on a connu par expérience ; car à Nice et à Marseille on a autrefois pris des Lamies, dans l’estomac desquelles on a trouvé homme armé entier. »

Puis, plus tard, Pierre-Daniel Huet, étymologiste, en remettait une couche :

« Poisson très dangereux, ainsi nommé parce que, quand il a saisi un homme, il ne lâche jamais sa prise et il ne reste plus qu’à faire chanter le requiem pour le repos de l’âme de cet homme-là »

En 1876, dans Le petit Buffon illustré des enfants, le requin est décrit à la marseillaise :

« Cet être vorace est le tigre de la mer. Il atteint quelquefois dix mètres de longueur ; sa gueule et son gosier sont très larges et lui permettent d’avaler un homme avec beaucoup de facilité, aussi en a-t-on trouvé maintes fois dans leur corps ; — on cite un requin, dans le ventre duquel on trouva deux hommes, dont l’un avait des bottes et l’épée au côté. […] En somme, cet animal, armé pour la bataille, ne redoute que bien peu d’ennemis, et il ravagerait le monde de la mer, sans le cachalot qui l’arrête dans son œuvre de destruction, en le détruisant lui-même. Le requin montre une grande avidité pour la chair humaine ; une fois qu’il en a goûté, il ne cesse de fréquenter les parages où il espère en trouver. »

La peur des requins ne trouverait pas son origine dans l’animal en lui-même, mais dans le fait qu’il ne nous est pas possible de lutter contre, lorsque vous flottez comme un glaçon dans le verre du monstre. Vous vous sentez un peu démuni. Et puis — le lâche ! — il vous massacre par en dessous. Vous ne pouvez pas le voir venir, vous n’avez aucune chance (ou presque) de lui échapper. C’est un adversaire de choix dès que vous souhaitez créer de l’effroi.

Les attaques de squale ont essentiellement lieu en Floride aux USA, au Brésil, en Australie et en Afrique du Sud. Pour que les conditions soient réunies, il vous faut : des requins et des gens qui pratiquent des sports nautiques. Si vous restez sur la plage, les attaques sont plus rares. (Sauf si une tornade vous les amène jusqu’à vous.) Le plus souvent, les morsures résultent d’une défense de leur territoire. Il se peut qu’ils aient faim et qu’ils vous aient confondu avec un fish and chips. Ou, cela peut être encore des morsures-poutous par curiosité. Puisque ces monstres ne sont pas pourvus de mains, ils vous touchent avec leur bouche.

Si vous souhaitez plonger et les voir évoluer en liberté, c’est là aussi où il faut aller. Vous, vous serez dans des cages, et eux, ils se baladeront au zoo. Normalement, vous y survivrez.

Au cinéma, cependant, tout ne s’est pas toujours bien passé. Avant Jaws, Cairne en 1969 (un film de chasseurs de trésors aquatiques) avait cru opportun de faire jouer des squales sous sédatifs. Un des calmants n’a pas bien marché et le cascadeur à proximité s’est fait bouffé devant la caméra. Le film a été renommé Shark ! à postériori, afin d’accroître sa valeur commerciale grâce à ce triste évènement. Immoral, mais payant.

On pourrait aussi évoquer Requin, le tueur à gages à la terrible mâchoire en acier de chez James Bond ! (L’Espion qui m’aimait, Moonraker) Lui, il a marqué les esprits par sa similitude avec l’animal. Il était le prédateur personnifié.

Dans la littérature, des écrivains comme Jules Verne (Vingt mille lieues sous les mers), Jack London (Le Loup des mers) ou Alexandre Dumas (Georges) se sont amusés à mettre en scène des attaques de requins. 

Aujourd’hui, vous ne trouverez plus beaucoup de romans les présentant comme des monstres affamés de viande humaine, mais davantage des bouquins documentaires qui vous apprendront à les apprécier. Un que j’aime bien, à ce sujet : Les Dents de la mort de Xavier Maniguet.

Dans la fiction aussi, les squales se sont assagis, à l’instar de Bruce, le requin blanc du Monde de Némo qui veut changer le regard qu’on lui porte et qui a juré de ne plus jamais manger de poissons.

De nos jours, nous préférons nous effrayer avec des alligators (Crawl) des piranhas ou des cachalots (Moby Dick). Ou alors, nous faisons remonter des créatures préhistoriques qui n’ont plus rien à voir avec nos joyeux squales. (The Meg)

Le grand requin blanc serait-il un monstre en voie de disparition ?

Peut-être bien dans la fiction. Dans la réalité, par contre, oui, et ça, c’est tragique.

Sources : Allociné, Wikipédia, les photos sont copyright Sony Pictures Releasing France

7 commentaires sur « Film : Instinct de survie – The Shallows de Jaume Collet-Serra »

  1. Ha, ha, j’ai bien ri avec tes tournures de phrase ! 😀
    J’ai vu ce film et, ma foi, je l’avais trouvé plutôt agréable à regarder.
    Par contre, je ne te remercie pas, hein, moi qui suis déjà phobique des chiens ! Moins des requins, j’ai déjà nagé avec, d’ailleurs (des tout gentil à pointe noire).

    Aimé par 2 personnes

    1. Eh bien, statistiquement, tu as raison d’avoir peur des chiens plutôt que des requins. 😀 Si quelqu’un t’embête avec ta phobie, tu pourras leur dire que tes craintes sont tout à fait fondées !
      C’est chouette que tu aies pu nager parmi eux ! Même si les pointes noires sont plus petits, ça doit rester une sacrée expérience. 🙂

      Aimé par 1 personne

  2. Mort de rire, excellent article !
    J’avais bien aimé aussi cette série B à l’esthétique d’une pub pour un gel douche et qui viré au torture porn. L’hispanique réalisateur semble se complaire dans la couleur dolorisme de son film, je ne sais pas ce que tu en penses.
    J’en apprend sur le film, y compris sur le volet people (Blake et Ryan sont ensemble ? tu viens de mettre un vilain coup au moral). Le rapprochement avec Buried fait sens.

    Aimé par 1 personne

    1. Ahah, ambiance Ushuaïa revenge ! 😀

      Pour M’sieur Collet-Serra, oui je suis d’accord. Mais il a aussi un goût récurrent pour les jeux sadiques dont sont perpétuellement victimes ses personnages. (Non-Stop ou The Passenger sur des thèmes différents)
      J’attends de voir ce que va donner son passage parmi les DC Comics et les films plus familiaux.

      (Ryan et Blake, attention c’est du sérieux ! Ils en sont quand même à leur troisième marmot ! ^^)

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