Film : Wind River de Taylor Sheridan

D’après un scénario de Taylor Sheridan, himself

La bête : l’homme ou l’animal ?

Aujourd’hui, il va faire froid dans notre paysage cinématographique, avec quelques bourrasques fraichement hivernales et des gros flocons pas du tout de saison. C’est pour contrebalancer avec notre mois d’avril tout bizarre, j’avais envie de grands espaces.

Nous avons rendez-vous à Wind River, USA.

Littéralement, la rivière du vent.

Une chaîne montagneuse… Densité de trois habitants par kilomètre carré.

« - Qu’est-ce que vous faites déjà ?

Je chasse des prédateurs.

Alors que diriez-vous de venir en traquer un pour moi ? »

Wind River de Taylor Sheridan

Le film du jour est un western-thriller. Il répond aux codes du genre : chapeau de cowboy, indiens, paysages immenses et solitude profonde.

En quelques mots, la police locale recherche un violeur de jeune fille dans la réserve indienne des Arapaho. Le corps est retrouvé dans la neige : poumons explosés à force de courir dans le froid, pas de chaussure et signes extérieurs des sévices subis.  

Le FBI arrive sur la scène de crime avec la grâce du crocodile sur la banquise et afin de ne pas patiner sur place, va se faire assister par un chasseur du coin jusqu’à identifier puis arrêter le coupable.

Ça tombe bien, Monsieur le chasseur du coin a justement envie de rendre service, puisque sa propre gosse est morte dans des conditions similaires quelques années plus tôt et le criminel n’a jamais pu être attrapé.

Cela pourrait paraître être un scénario très ordinaire si :

  • Il n’était pas basé sur un certain nombre de faits réels,
  • Il n’avait pour but de dénoncer les tragédies muettes qui se déroulent depuis des décennies dans les réserves amérindiennes.

Le tout posé bout à bout, avec une super photographie, une bande-son à vous mettre les poils, et un casting très bien choisi, cela vous donne un excellent film… de monstre. Oui, oui.

Mais avant d’en arriver à cette conclusion, il faut que je vous parle un peu de ce qui fait l’originalité de ce film.

« Vous cherchez des indices, mais vous ne voyez pas les signes. »

Wind River de Taylor Sheridan
Un anti-western :

Par définition, le western vous raconte les moments glorieux de l’Amérique lors des différentes guerres passées et la conquête du continent, nord, sud, est, ouest.

Sous couvert d’agiter le drapeau étoilé une main sur le cœur, le western vous enseigne aussi la meilleure manière de vous enrichir au nom de l’ambition américaine.

Différents thèmes classiques sont mis en valeur :

  • La conquête de l’ouest,
  • La colonisation des terres par les vachers et autres fermiers,
  • La colonisation des montagnes et des rivières par les chercheurs d’or,
  • L’avancée du chemin de fer sur des territoires hostiles,
  • Les grandes batailles des soldats de la cavalerie,
  • Les desperados célèbres et autres pillards de banque hors la loi
  • Les saloons et casinos où dépenser sa nouvelle fortune gagnée.
  • Le culte des armes à feu et l’art de défendre ses terres/ranchs/vaches/femmes et enfants.

Ce qui est intéressant dans tout cela, c’est que le western a longtemps été un média utilisé pour rendre populaire cet esprit de colonisation et justifier le génocide des populations indiennes en Amérique. Les cowboys sont toujours représentés en héros, et les indiens, pourtant là bien avant eux, en intrus.

Si vous faites un parallèle digne d’une cour de récré, les cowboys contre les indiens, c’est le même jeu que les gendarmes contre les voleurs. Dans l’imaginaire collectif, les indiens n’ont jamais eu le bon rôle. Tout au plus, ils se révèlent être des alliés du héros cowboy, un peu comme Spock, le grand indien à frange basse de Star Trek. 

Wind River fait exactement le contraire. Il nous offre une superbe critique sociétale et met à mal l’idéologie western.

D’ailleurs, il fait partie de la trilogie du scénariste Taylor Sheridan avec les films Sicario et Comancheria, consacrés eux aussi aux côtés obscurs de l’Amérique. Sicario exploite le thème de la lutte contre les narcotrafics sur la frontière mexicaine. Comancheria rappelle que le cowboy d’hier, devenu fermier aujourd’hui, n’a plus autant d’avenir. Et Wind River… nous parle des réserves indiennes abandonnées par le gouvernement.

C’est donc un film engagé, comme Taylor Sheridan le définit lui-même :

« Wind River explore ce qui constitue sans doute à la fois les vestiges les plus tangibles de la frontière américaine et le plus grand échec de l’Amérique : la réserve amérindienne. […] Il est question d’un territoire sauvage, brutal, où le paysage lui-même est un ennemi. De terres où l’addiction et le meurtre tuent plus que le cancer, où le viol est considéré comme un rite de passage pour les jeunes filles devenant femmes. De terres où la loi des hommes cède devant celle de la nature. Nulle part ailleurs en Amérique du Nord les choses n’ont moins évolué au cours du siècle dernier, et nul autre lieu en Amérique n’a davantage souffert de ces maigres changements. »

« Bureau du Shérif, il me faut une équipe de secours… »

Wind River de Taylor Sheridan

Taylor Sheridan, tenait tellement à son scénario qu’il a décidé, une fois n’est pas coutume, de le réaliser personnellement. 

Ses chevaux de bataille, basés sur la triste réalité statistique, sons les suivants :

  • La montée de la délinquance chez les jeunes liée à un problème de consommation de drogue ou d’alcool, outre le désœuvrement suite à de nombreux décrochages scolaires.
  • La pauvreté et le chômage pour tous (le taux de chômage atteignant 73 % dans certains coins de la réserve.)
  • De faibles moyens de santé publique (l’espérance de vie étant en moyenne de 49 ans)
  • Des problèmes liés à l’obésité (70 % des personnes résidant dans la réserve étant diagnostiqués obèses)
  • Une épidémie de suicide, chez les jeunes comme chez les adultes.

Glauque, certes. Quand je vous dis que c’est un anti-western !

À savoir, en 2009, trois ados amérindiennes ont été assassinées sur la réserve de Wind River. Cependant, étant décédées par surdose de méthadone utilisée habituellement par les héroïnomanes, le médecin légiste a refusé de classer l’affaire comme étant un crime. Les policiers n’étant pas nombreux, le FBI a été appelé à la rescousse…

Le film, paru en 2017, s’inspire en partie de ce fait divers.

Les critiques ont été ambivalentes lors de la sortie. Certains ont adoré, d’autres ont déploré qu’on ne parle encore des Amérindiens que dans un sens négatif, montrant une civilisation tristement à genoux plutôt que de la valoriser.

À noter enfin que le film devait être distribué par la société Weinstein, chose cocasse puisqu’il dénonce quand même les victimes muettes d’abus sexuels. Suite aux révélations et procès judiciaires, le nom de Weinstein a été retiré du générique comme de la bande-annonce, de sorte que la distribution a été vite arrêtée. Le réalisateur Sheridan a exigé que tout l’argent gagné par Weinstein sur le dos de ce film soit reversé à des œuvres de charité.  

Un casting solide :

Wind River, c’est aussi la rencontre de plusieurs talents.  

Jeremy Reners, dans le rôle du chasseur du coin, est au premier rang d’un bon nombre de films d’action. C’est un acteur à la mode, repêché par Marvel. Mais si j’ai deux films à vous conseiller avec lui, c’est The Town et Démineurs.

Elizabeth Olsen, qui joue la nana du FBI, est la petite sœur des jumelles Olsen. Vous vous souvenez, il y a vingt/trente ans ? Le sitcom pour ados ? Eh bien, Elizabeth Olsen, c’est la sœur n°3, moins connue, mais certainement à découvrir pour peu qu’on lui donne sa chance. Ce n’est pas sa première apparition à l’écran, loin de là, et on la retrouve comme pour Jeremy Reners dans la saga Marvel. Cependant et pour une fois, dans Wind River, elle retient l’attention. Comme quoi, elle a un bon potentiel à exploiter.

Des acteurs de moindre renommée interprètent aussi de chouettes rôles. Je pense par exemple à Gil Birmingham qui jouait également dans Comancheria. Son personnage dans Wind River, au bord de la rupture, est extrêmement touchant.

La force de ce film est enfin de marier des non-acteurs à des acteurs tellement investis qu’on en oublie qu’ils ne font que leur métier. Le résultat : un film authentique, qui n’a presque pas la patte Hollywood. Comme ça fait du bien !

 

(Ci-dessus, un des plans cools du film, chargé en symboles. Devant, les deux pères endeuillés, qui s’échangent des tutos sur comment continuer à vivre. Derrière, la balançoire avec deux sièges pour enfant, vides et poussés par le vent.)
L’ambiance :

Troisième point et ultime point, Wind River est immersif au point de sentir le froid jusqu’à chez soi.

Je vous mets au défi de regarder cette tempête de neige, tout ce blanc, cette pauvre fille retrouvée pieds nus au milieu de nulle part, et de n’avoir aucun frisson.

Pour accentuer l’aspect nerveux, le film utilise une excellente bande-son, mixant des éléments de musique tribale (ou assimilé) à des sons électros, évoquant un courant d’air glacé. (« Fhhhiou… ouuuuh… Fhhhhiou… ouuuuh » )  

Comme dans beaucoup de films consacrés au froid, l’hiver est presque un antagoniste à part entière.

Côté thriller, nous avons un crime à résoudre, de type whodunit puisque nous sommes dans une arène géographique fermée. L’histoire ne se perd pas en circonvolution et est assez linéaire. Nos personnages avancent sans obstacle vers la vérité.

Ce qui compte n’est pas de comprendre qui à fait ça et pourquoi, mais plutôt d’arrêter le violeur avant qu’il ne récidive.    

Pour appuyer cela, le film regorge de métaphores et de symboles (plus ou moins subtils) autour de la chasse.

C’est là où le monstre fait son entrée.  

La bête

C’est le premier de tous les monstres, celui qu’on utilise dans les contes pour enfants, quand on commence à vous parler du Méchant Loup qui a bouffé Mère-grand.  

La bête est au cœur des contes de Grimm et de ceux de Charles Perrault.

Pour les plus grands, vous la retrouverez dans des films flirtant avec le genre de l’horreur et/ou du fantastique. Du Village à Jurassic Park, par exemple, la bête est celle qui va surgir du bois pour attaquer et vous prendre à revers.   

Dans Les Dents de la mer ou plus récemment Instinct de survie ou The Meg, la bête lance des offensives aveugles, sans autre but que de nuire. Dans King Kong ou dans Godzilla, la bête est toute puissante et presque divine. Sa mission est d’inspirer crainte et respect à l’humanité, qu’elle protégera ensuite. Dans Batman, Bruce Wayne choisit de se dessiner un costume de chauve-souris pour mieux épouvanter ses adversaires.

Les utilisations sont multiples et dépendent de ce que l’on souhaite faire du livre ou du film : soit un récit pour effrayer, soit un récit pour sensibiliser (La Planète des singes). On peut vanter la grande force physique de l’animal ou son intelligence retorse, tout comme on peut vouloir démontrer chez elle l’existence de sentiments.

En général, toutefois, la bête « monstrueuse » est dotée d’un penchant prédateur et des crocs et griffes qui vont avec. Elle représente le danger, parce qu’elle est sauvage et donc viscérale.

C’est aussi un support à métaphore, allégorie, comparaison extrêmement riche, quand l’homme devient bête le temps d’un récit.

En effet, par extension, la bête se rapporte à l’homme dépassé par ses propres instincts primaires.

L’homme égocentrique et libidineux se voit souvent métamorphosé en animal jusque qu’à ce qu’il parvienne à faire amende honorable et lever le sortilège. (La Belle et la Bête, Les Métamorphoses d’Ovide) Dans certains cas, les métamorphoses sont irréversibles et donnent lieu à de jolies fictions sur la lutte entre la part animale et la part humaine. C’est le cas de la plupart des récits de loup-garou.

(« Nooon, je ne peux mordre ton mollet ! Sinon, tu partageras ma siniiistre existence ! » … « Grrrr gnarf ! Gloups. »)

L’étrange cas du Docteur Jekyll et de M. Hyde de Stevenson, raconte peu ou prou cette même histoire de dualité entre l’homme de tête et l’homme bestial malfaisant.  

Dans Wind River, nous sommes en plein dans cette métaphore de l’homme transformé en animal, tel un conte de Grimm revisité. Le petit chaperon rouge va rejoindre le loup dans sa tanière et se faire crûment dévorer. La scène en flash-back où l’on assiste au viol est, du reste, présentée sous un angle bestial, sur fond d’alcool et de drogue, rendant l’homme incapable de vaincre ses pulsions.

L’homme est un loup pour l’homme.

D’ailleurs, la première scène du film vous montre notre chasseur en train de tuer un loup. Puis, lorsqu’il décide d’aider le FBI dans son enquête, il répète à plusieurs reprises que c’est son travail de traquer toute bête. Le message en est presque martelé ! Le champ lexical reste constant tout au long du film. L’homme criminel est pointé du doigt comme étant le pire des prédateurs à abattre pour protéger le troupeau.

Wind River est donc une chasse aux monstres réussie.

Sheridan, mine de rien, a vengé notre petit chaperon rouge.   

Sources : Allociné, Wikipédia, Copyright Wild Bunch Germany pour les photos

6 commentaires sur « Film : Wind River de Taylor Sheridan »

  1. Alors j’ai vu ce film. De mémoire, j’avais bien aimé mais j’avais trouvé super violent. Effectivement, on peut dire que l’homme est un loup pour l’homme. ^^
    Il me semble aussi que j’avais trouvé la fin… Un peu bidon (genre grotesque), mais je ne suis plus sûre.
    Tu as aimé, toi, finalement ?

    Aimé par 2 personnes

    1. J’aime beaucoup ce film ! =) J’ai dû le revoir déjà quatre ou cinq fois depuis qu’il est sorti. J’adore l’ambiance hivernale. :p Et puis, je le trouve réussi tant sur le plan thriller que celui de l’émotion.

      Les séquences violentes ne sont pas si nombreuses que ça en réalité, mais le film est tellement noir du début à la fin que je comprends que tu aies eu cette impression. Et je suis d’accord, la fin est sans doute ce qu’il y a de moins réussi. (Même si c’est aussi le seul moment léger du film, avec le crocodile de Floride et l’article de presse.)

      J’aime

  2. Merci de mettre en lumière ce film magnifique dont j’avais vanté les mérites sur mon blog. Il vient clore une trilogie passionnante sur l’effondrement des valeurs d’un pays : La drogue, le vol, le viol, pas la joie certes mais le constat tragique sonne juste. J’ai été particulièrement touché par le sort de ces femmes qui disparaissent dans la nuit. Mais il n’y a pas que les corps qui s’effacent sous le manteau de neige, c’est aussi la mémoire d’une culture que l’on a déracinée. La photo que tu présentes est peut être le moment le plus émouvant du film, celle qui montre un homme qui pleure sa fille mais aussi la disparition de ses ancêtres, de ces rites qui n’ont plus de sens car la civilisation en a forcé l’oubli.

    Aimé par 1 personne

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