Film : L’Art du mensonge de Bill Condon

Adaptation du roman The Good Liar de Nicholas Searle

ARNAQUER UN ARNAQUEUR : EST-CE BIEN RAISONNABLE ?

Voici un film américain qui mérite qu’on en dise deux mots. Classé film d’arnaque, l’Art du mensonge s’inscrit plutôt à mes yeux le genre du slow thriller.

Dès le générique de début, nous savons qu’il va se passer quelque chose, les deux personnages menteurs, fripons, sont présentés sur un même pied d’égalité. Et pourtant il faudra patienter jusqu’à la fin pour avoir le droit à l’ultime twist et connaître toute la profondeur du scénario.

Ian McKellen et Helen Mirren en pleine conversation sérieuse. Pas un verre ne bouge !

Betty McLeish : Alors dites-moi, est-ce que vous faites ça souvent ? Rencontrer des femmes via internet ? Vous ne trouvez pas que c’est toujours un peu la même chose ?

Roy Courtnay : Vous parlez des attentes qu’on nourrit suivie de l’inévitable déception ? Mais bon, je me dis, ne baisse pas les bras. Cette fois ce sera différent. C’est la raison pour laquelle je dois maintenant vous avouer que je vous ai un peu menti.

Helen Mirren et Ian McKellen, L’art du mensonge (2019), écrit par Jeffrey Hatcher

Le pitch est classique, si ce n’est que tout tourne autour de l’univers du troisième âge : Roy, un arnaqueur aguerri joué par le merveilleux Ian McKellen repère une riche veuve, Betty, portée à l’écran par Helen Mirren et décide d’en faire son déjeuner. Des obstacles se dressent parfois : le fils de la veuve, d’autres personnages secondaires qui en veulent à notre antihéros, mais Roy tient bon. Avec son pote Vincent (incarné par le célèbre acteur de Downton Abbey, Jim Carter), il est sûr de gagner des millions « pour aller boire du champagne sur une plage jusqu’à la fin de ses jours ».

Ce n’est pas qu’il n’aime pas Londres, notre brave Roy, mais il a comme qui dirait quelques soucis avec la justice.

Vincent : À ton avis, combien elle a ?

Roy Courtnay : Pas loin de trois millions de livres

Vincent : Tu vas tout lui prendre ?

Roy Courtnay : Et comment, je vais lui voler jusqu’au dernier sou !

Jim Carter et Ian McKellen, L’art du mensonge (2019), écrit par Jeffrey Hatcher

Le piège se met en place trèèès lentement. J’insiste sur le côté indolent de ce film. C’est comme observer un crocodile ouvrir la gueule au ralenti pendant qu’une jambe s’approche innocemment, après neuf heures de planque dans les buissons pour capturer cet instant éphémère avec un appareil photo dont l’obturateur flanche une fois sur deux. Betty se mérite, voyez-vous.

Pendant que la jambe de Betty arrive, nous découvrons que Roy n’est pas tout à fait aussi pourri qu’on le pense : il est pire que ça. Au diable, le gentil papy qui aime l’oseille ! Roy n’hésite pas à faire le sale boulot : torture, meurtre, tout ça avant d’aller boire un verre et s’acheter un nouveau chapeau. 

Le film contraste beaucoup entre les scènes romantiques et les scènes de violence pas que suggérées. (Vous connaissez l’histoire de Paf, le métro ?)  

On en vient presque à souhaiter l’inévitable : qu’il se fasse à son tour arnaquer.

Vincent : Tu devrais pas faire ça Roy. Tu aimes le jeu, la montée d’adrénaline.

Roy Courtnay : Et quand bien même ?

Jim Carter et Ian McKellen, L’art du mensonge (2019), écrit par Jeffrey Hatcher

Ce n’est ni un scoop, ni un spoil, mais un souhait profond de chaque spectateur au bout d’une heure trente de film. Le moment où ça y est, Roy va se faire pigeonner, est presque jouissif.

Cependant et là encore, twist et retwist, Betty n’est pas une arnaqueuse justicière, loin de là : elle est bien pire que Roy.

Vous le voyez, là, le ciseau ? C’est très dangereux, la coiffure !

Betty McLeish : Tu sais c’est très étrange de faire des choses qu’on n’aurait même jamais imaginées. Des secrets entre toi, Dieu, le Diable et les morts.

Helen Mirren, L’art du mensonge (2019), écrit par Jeffrey Hatcher

Comme promis, nos deux séniors mauvais de bout en bout vont trouver moyen de s’affronter.

Je vous laisse deviner qui aura le droit à son verre de champagne sur la plage… Mais un conseil : ne pensez pas que la fin est évidente. Elle est construite de telle manière qu’il est impossible de la prédire.

Ce film a été plutôt mal reçu par les critiques spécialistes françaises, avec des avis assez mitigés.

Les Inrockuptibles métaphorisent même : « “L’Art du mensonge” a tout du dinosaure. (…) Hélas, l’animal en question ressemble davantage à un vieux crocodile arthritique qu’à un fier vélociraptor. »

Je pense pour ma part que ce film, tout en délicatesse, va devenir un classique du film d’arnaque.

Vous savez quel est l’ancêtre commun à tous ces films ? L’arroseur arrosé, de Louis Lumière, sorti en 1895. Un des premiers courts-métrages produits dans le monde entier ! C’est dire si le concept date !

À l’époque, pour écrire un scénario type des films d’arnaque, il était nécessaire de réunir trois éléments :

  • Une victime innocente : dans cet exemple, la plus gentille des pelouses que vous n’avez jamais vue.
  • Un agresseur : un jardinier un peu lourdaud, obstiné par son devoir de noyer au jet d’eau le moindre brin d’herbe et toute la vie animale qui s’accroche à ce dernier.
  • Un vengeur : le gamin espiègle qui va poser le pied sur le tuyau, coupant le jet, jusqu’à ce que le museau inquiet du jardinier finisse par se placer droit devant.

Le vengeur doit reproduire sur l’agresseur le comportement de ce dernier envers la victime. Parfois, la victime se transforme en vengeur en cours de récit et se retourne contre son agresseur.

Le concept s’est enrichi au fil des années, s’acoquinant volontiers avec le genre du polar et du film d’action. (Haute-Voltige… Braquage à l’italienne, ou comment voler un voleur…)

Comme le cinéma et la littérature s’alimentent de nos époques, les arnaqueurs se modernisent, usant des nouveaux outils technologiques pour accomplir leurs méfaits. Ils ne sont pas mignons, loin de là, même si souvent, on leur colle l’étiquette romantique du gentleman cambrioleur.

Nous sommes loin du gentil Pinocchio !

L’arnaque, ce n’est absolument pas glamour ! Obtenir satisfaction nécessite de recourir à n’importe quelle méthode crapuleuse, meurtre y compris. Les arnaqueurs sont par définition des salopards, peu importe la forme qu’ils se donnent. Certains se repentent parfois avant la fin du livre, d’autres n’y pensent même pas. Rangez les bouquets de roses, les chandelles… Sortez plutôt les cercueils et quelques candélabres !   

Un livre découvert il y a peu et assez édifiant : Lève-toi et Code — Confessions d’un Hacker de Rabbin des Bois. Ce livre-témoignage est une sacrée curiosité et explique notamment comment les escrocs considèrent leurs victimes comme des « viandes », simple matière consommable envers qui il est impossible d’éprouver de l’empathie.

Revenons à notre Art du Mensonge et au milieu du cinéma…

Une des caractéristiques principales du film d’arnaque est le long duel montant crescendo entre l’agresseur et le vengeur, souvent portés par un casting soigneusement choisi et des dialogues pleins de peps. (Dérapages incontrôlés avec Ben Affleck et Samuel L. Jackson)

Le film d’arnaque doit comporter également des personnages charismatiques, affamés de luxe, de gloire, de richesse et évidemment sans scrupules : la série House of Cards relate les hauts et les bas d’un politicien prêt à tout pour poser ses fesses à la Maison Blanche. Bienvenue au pays des grandes promesses et des belles trahisons…  

Ce n’est pas pour rien que Frank Underwood et son épouse rendent hommage à Assurance sur la mort : une pépite cultissime sortie sur les écrans en 1944, narrant les péripéties d’un agent d’assurance pour toucher la prime d’assurance-vie d’un de ses clients (qui était tout à fait vivant, au début du film, du moins).

Dans les Infiltrés, c’est différent : l’arnaque est double. Un gars de la pègre infiltre la police tandis que parallèlement, un gars de la police infiltre la pègre. Tout au long du film, nos personnages sont à deux doigts de se démasquer mutuellement.

Si vous préférez les films plus calmes, avec de lentes montées d’angoisse, je vous propose plutôt la Tourneuse de Page (vengeance entre musiciennes…) ou une Main sur le Berceau (vengeance entre femmes…)

Et enfin, mon préféré dans ce domaine : Gone Girl. Une femme décide de « punir » son mari en organisant sa condamnation pour meurtre. Tout en sadisme…  

Les titres à citer sur le sujet ne manquent pas, d’autant que ce genre est connexe à d’autres, ouvrant sur toutes sortes de monstruosités.

Ian McKellen (Roy Courtnay), Jim Carter (Vincent) en mode « tu signes ou tu signes pas ? »

Nul doute que l’Art du Mensonge saura apporter sa pierre à l’édifice.

Nul doute également que ce film saura vous divertir, surtout si vous n’êtes pas pressé et que vous avez à côté de vous une bonne tisane et un plateau de shortbreads.

N’oubliez pas le vieux crocodile arthritique ! Prenez votre temps et appréciez. =)

Source : Allociné

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