Film : En Avant de Dan Scanlon

D’après un scénario de Dan Scanlon, Jason Headley, Keith Bunin

Mi-lionne, mi-scorpion : la légende de la manticore

Nom de famille : Manticore

Prénom : La

Caractéristiques : crache du feu, pique un peu, sait gérer les karaokés mais ne chante pas. 

Remballez Olaf, sortez les peluches de lion ailés. Vos enfants vont en devenir fous.

* * * * *

Aujourd’hui, c’était au tour du dernier Disney-Pixar de venir nourrir ma Monstrothèque.

Il faut dire qu’en un coup d’œil, la bande-annonce avait de quoi séduire : des sirènes glandant dans une piscine gonflable, des licornes déglinguées renversant des poubelles, un centaure qui tape des sabots… Mes aïeux, mais quel bestiaire !

Son nom lui-même est un appel à l’aventure ! Allez-y, prenez votre souffle avec moi, et à trois, on y va :

En Avant !

Voilà, c’est dit.

J’entends déjà une moitié d’entre vous embrayer sur un « en avant toute ! » très Jack Sparrow (Pirates des Caraïbes), la jeunesse poursuivre par un « En avant let’s go, c’est parti les amis ! » (Dora l’exploratrice), et quelques petits malins du fond chantonner « À l’aventure compagnon, nous sommes partis vers l’horizon… ». Mais si vous connaissez le Donjon de Naheulbeuk, je vous pardonne.

Et évidemment, par un esprit de contradiction poussif, l’histoire commence par un énorme retour en arrière.

A long time ago, les monstres vivaient paisiblement en harmonie dans un univers on ne peut plus extraordinaire. Les magiciens étaient parmi eux de véritables héros, toujours prêts à rendre service, ils passaient de porte en porte pour s’assurer du bonheur de chacun, offrant leurs talents tels de jeunes scouts sur la voie de la sagesse. Sur simple demande, ils faisaient revenir l’être aimé, vous aidaient à retrouver du travail, attiraient la chance et éloignaient la maladie, tout ça mieux que le vieux marabout de mon quartier.

Et puis est arrivée la technologie.

Les feux de camp sont devenus ampoules et câbles électriques. Les folles chevauchées au clair de lune ont été remplacées par des décapotables rutilantes… Les licornes ont été vaincues par la génération Nabilla. Et les magiciens, ces ringards, ont commencé à se faire tout petit.

Ils ont disparu, c’est triste mais c’est comme ça.

Surviennent nos deux héros, Machin et Bidule, des décennies plus tard. (Dans le film, ils ont des prénoms, je vous rassure.) Ce sont deux adolescents elfes à la peau bleue grise, genre croisement de Legolas avec un dauphin.

Machin a un problème : il a une vie merdique. Timide, zéro confiance en lui, pas d’amis, une famille gênante, père décédé, ne s’entend avec personne, la guigne complète.

Bidule, son frère ainé, est pour sa part un aventurier sans peur et sans reproche. Fan de donjon et dragon (Quests of Yore dans le film), adepte des grandes traditions magiques et des raccourcis dangereux, tout le monde le prend pour un fou option syndrome de Peter Pan.

…Bref, Machin et Bidule ont tous les deux de bonnes raisons d’en vouloir aux scénaristes pour la cruauté de leurs existences, et des besoins moraux conscients et inconscients évidents. Si vous souhaitez faire une lecture Truby du scénario, tout est très clair : c’est le gros avantage des films à destination du jeune public. Si vous avez un doute sur le message, Machin tient même un journal d’objectifs à atteindre, ce qui permet de voir son avancée dans sa quête personnelle.

L’occasion leur est offerte cependant de satisfaire un de leurs plus chers désirs : leur mère leur remet un sceptre magique qui a le pouvoir de faire revenir durant vingt-quatre heures le spectre de leur défunt père, histoire de se faire un barbecue hanté en famille. Ça tombe bien et à peine l’engin déballé, les deux ados passent à l’action. 

Sauf que… le sortilège tourne mal et s’interrompt alors que leur père n’a que deux jambes. (Vous allez me dire, jusque là c’est normal… mais par deux jambes, j’entends QUE deux jambes. Pas de tête, pas de bras, pas de chocolat.)

Ce film narre donc les péripéties de deux apprentis magiciens et d’une paire de jambes à la recherche de la pierre de phénix qui saura réactiver et finaliser le sort avant qu’il ne soit trop tard.   

Et je ne vous dis pas la suite. Mais je vous promets, c’est badass !

« Autrefois, le monde était rempli de merveilles… Tout n’était qu’aventures ! Il y avait la magie ! Mais… elle n’était pas facile à maîtriser. Le monde trouva des méthodes plus simples. Pourtant, j’ose espérer qu’il reste un peu de cette magie en vous. »

En Avant de Dan Scanlon

Franchement, j’ai beaucoup aimé ce Disney. Certes, la morale vous est criée une bonne dizaine de fois dans vos esgourdes, certes, on y retrouve toujours un peu des conventions scénaristiques, mais pour une fois, vous avez un vrai récit d’aventures épiques. Pas juste une prophétie avec un super méchant qui veut détruire la planète. Le scénario est quand même plus fouillé que la moyenne.

Les personnages sont tous très attachants de Fournaise le dragonnet au capitaine centaure. Même les fées éclatées sur les parebrises comme de vulgaires moucherons sont sympathiques. Cependant, l’essentiel de l’histoire se concentre sur nos trois personnages principaux : Machin timide, Bidule extraverti, et la paire de jambes sans tête, muette, qui sert de lien entre les deux frères. C’est comme La chose, dans La famille Addams. L’essayer, c’est l’adopter. Tous les monstres devraient être aussi captivants. 

Les péripéties s’enchaînent de façon naturelle et la progression des personnages semble couler de source. L’histoire est calquée sur une parodie de partie de jeu de rôle, et il ne manque que les lancers de dés pour s’y croire pour de bon. L’humour fonctionne grâce à la cohabitation du fantastique et de notre modernité telle que nous la connaissons.

Ce dessin animé, c’est la version réussie des Nouveaux héros, que Disney avait voulu nous pondre il y a quelques années, sans pour autant convaincre, pour apprendre à deux jeunes gens à surmonter la perte de l’être aimé. Le deuil est bien sûr un des thèmes majeurs, et le sujet est couvert sans pour autant tomber dans le glauque. Pas besoin de prévoir le paquet de mouchoirs, vous ressortirez de la séance ciné avec le sourire.

Évidemment, le caractère opposé des deux personnages principaux rappelle aussi un peu Vice Versa. Toujours la même rengaine : survivre au changement, s’adapter, aller de l’avant.  (d’où le titre. Ils l’ont murement réfléchi, vous voyez.)

Côté musique, la bande-son m’a paru pour une fois absente. Pas de chansons, mais pas non plus de belle mélodie capable de porter l’action.

Côté image, les dessins sont impeccables, comme toujours. Rien à dire à ce sujet, tout est très propre chez Disney. La fluidité graphique des personnages est leur point fort.

Au sujet de la représentation à l’écran… Souvent, on reproche à Disney de nous pondre une fois sur deux, un film pour « filles », et la fois suivante un film pour « garçon ». En Avant n’échappe pas à cette triste règle. Après La Reine des Neiges n°2, sortie en hiver 2019, nous voilà à nouveau avec un bon film à dominante masculine, en attendant l’arrivée prochaine de Mulan dans un mois et une nouvelle émancipation des princesses.

Les deux héros sont de sexe masculin. Le troisième personnage est le père, qui se place en opposition avec le beau-père détesté, quatrième personnage de l’histoire. On peut dire, d’une certaine manière, que les femmes sont les grandes perdantes de ce récit.

Mais, car il y a un mais : Disney a utilisé un sortilège de quête secondaire pour nous livrer un duo féminin puissant, partant à la poursuite des garçons. La mère… et la manticore.

Ce n’est pas tous les jours que l’on croise une telle femme.

Plein phare, en conséquence, sur ce merveilleux monstre !

La manticore (ou le manticore selon les sources) est une bestiole légendaire, issue du folklore populaire du Moyen-Orient et de l’Inde. Pour faire simple, c’est un gros lion-tigre avec grosse queue et gros visage humain.    

Sa première évocation est perse, quatre siècles av. J.-C.

Le médecin grec Ctésias, parti à l’aventure sur le continent asiatique, est revenu au pays avec une description très poussive de la manticore. Cette description a été reprise par Pausanias, puis par Pline l’Ancien, et finalement, par Aristote dans son Histoire des animaux. De bouche à oreille de druide, comme dirait Panoramix.

Pline l’Ancien nous racontait à l’époque, peu avant de se faire carboniser par le Vésuve :

« Il y a parmi les Éthiopiens un animal appelé manticorus ; il a trois rangées de dents qui s’enchevêtrent comme celles d’un peigne, visage et oreilles d’homme, yeux bleus, corps cramoisi de lion et queue qui finit en aiguillon, comme celle des scorpions. Il court avec une grande rapidité et il est très amateur de chair humaine ; sa voix ressemble aux sons mêlés de la flûte et de la trompette. »

Histoire Naturelle de Pline l’Ancien

Bon, je ne vous garantis pas que Pline l’Ancien avait été vérifier ses sources. Sa méthode de travail était de s’allonger sur une litière et de prendre des notes tandis que ses esclaves lui lisaient les bouquins d’autres auteurs. Mais on doit à sa formidable encyclopédie en 37 volumes notamment la recette de la fabrication du vin à la grecque. Merci, Pline, pour ce partage intemporel.

L’Histoire Naturelle de Pline l’Ancien a été un véritable bestseller durant des siècles, dans la mesure où en ces temps troublés, Wikipédia n’existait pas encore. Jusqu’au Moyen-âge, ses bouquins ont fait office de référence. Et naturellement, la manticore est entrée dans les bestiaires médiévaux et dans les blasons des différentes familles, puisqu’avoir pour emblème un lion/tigre mangeur d’hommes, c’est quand même vaguement la classe. Ainsi, en 1470, la manticore apparaissait sur l’insigne de William Hastings, 1er baron Hastings, grand nom de l’histoire anglaise et de l’époque de la guerre des roses.

Le zoologue et écrivain anglais Edward Topsell, en 1607, donnait quelques détails sur la manticore : queue capable de projeter des pics pointus et d’en faire repousser aussitôt. Ne peut jamais être apprivoisée. Apte à sauter et à courir, on ne peut l’attaquer ni par-devant ni par-derrière.

Bon, je vous précise qu’Edward Topsell était célèbre pour prendre pour argent comptant tous les anciens mythes. Par exemple, il nous a également assuré que les belettes accouchaient par l’oreille ou que les singes avaient peur des escargots. Merci, Topsell, pour tes connaissances irréfutables.

Depuis, la manticore n’a plus été insérée dans les encyclopédies scientifiques mais a fait son entrée dans le milieu de l’art.  

Dès 1874, notre vieux franchouillard de Flaubert se la réappropriait  :

« La manticore, gigantesque lion rouge, à figure humaine avec trois rangées de dents : les moires de mon pelage écarlate se mêlent au miroitement des grands sables ; Je souffle par mes narines l’épouvante des solitudes. Je crache la peste. Je mange les armées, quand elles s’aventurent dans le désert. Mes ongles sont tordue en vrille, les dents sont taillées en scie ; et ma queue, qui se contourne, est hérissée de dards que je lance à droite, à gauche, en avant, en arrière, Tiens ! Tiens ! La manticore jette les épines de sa queue, qui s’irradient comme des flèches dans toutes les directions. Des gouttes de sang pleuvent, en claquant sur le feuillage. »

La Tentation de Saint Antoine de Flaubert

Suite logique de notre époque moderne, la manticore a été intégrée aux jeux et jeux vidéos. Donjons et dragons, par exemple, le plus classique de tous les jeux de rôle, et plus récemment à la saga des Might and Magic Heroes, bon jeu de stratégie sur ordinateur.

Le cinéma est arrivé en dernier, un peu timide. Souvent « nom de code » pour des opérations militaires secrètes ou pour des armes de guerre, la manticore commence désormais à être représentée visuellement en tant que monstre grâce aux nouvelles possibilités numériques.

Pour tout comprendre de la manticore, il faut savoir enfin qu’elle s’apparente d’une certaine manière au sphinx égyptien. (corps de lion, tête d’homme…) Voilà comment de fil en aiguille, Disney nous a reconverti ce monstre en une poseuse d’énigme et gardienne des indices un rien excentrique.

De haut en bas et de gauche à droite :

  • Manticore dans une illustration du Bestiaire de Rochester (c.1230-1240)
  • Insigne Manticore de William, Lord Hastings , (c.1470)
  • Gravure sur bois d’Edward Topsell’s The Historie of Foure-footed Beasts (1607)
  • Affiche du film En Avant – Disney Pixar

Dans notre dessin animé du jour, la manticore tient une taverne. Autrefois, en franchir la porte était un acte de bravoure inouï. Mais aujourd’hui, il y a moyen d’y réserver une table sur monstradvisor. Exit la tueuse sans pitié, bienvenue humble client à votre goûter d’anniversaire. Voulez-vous la carte des desserts ?

Sauf que… la manticore ne le sait pas encore, mais son instinct de guerrière est prêt à refaire surface. Quand les deux adolescents vont se pointer pour lui demander une carte de quête et un peu titiller ses nerfs stressés, la manticore va enfin se réveiller — tout cramer — et partir sur leurs talons.  

La manticore est donc LE personnage guerrier féminin de ce film. D’abord chef d’entreprise, elle va se transformer en terreur, avant de redevenir une alliée pleine de sagesse et de sagacité. Elle apporte douceur et humour, et de manière très symbolique, va apprendre à réutiliser ses ailes. Elle suit son propre parcours et détient ses propres objectifs. La manticore… C’est un peu comme si Tolkien nous avait refourgué comme guide spirituel un balrog à la place de Gandalf. Toute l’énergie du film provient d’elle.

Je ne vous l’ai pas dit plus tôt, mais Disney s’est quand même réapproprié le mythe. Leur manticore, si elle correspond aux descriptions anciennes, est plus sympathique. Elle a aussi une jolie paire d’ailes de chauve-souris et crache du feu. Sa queue de scorpion n’envoie pas de dards dans tous les sens, et elle ne tue pas, elle endort. C’est un peu plus mignon. Surtout, elle a un charisme de dingue, et elle ne se laisse pas faire. Ça fait du bien, des personnages forts comme ça.

Je voudrais finir cette chronique sur un point particulier.

En Avant, au-delà d’être une fable pour enfant est un point d’interrogation gigantesque adressé à tout le public.

Quelle est la place de la tradition dans notre monde moderne ? Quel poids doit avoir le passé sur notre présent ? Peut-on réellement oublier et se tourner vers l’avenir ?

Si vous voulez un livre (et maintenant une série TV) qui aborde exactement les mêmes questions, je ne peux que vous conseiller American Gods de Neil Gaiman. Un thriller redoutable racontant la déchéance des anciens dieux et l’émergence de leurs remplaçants.

En Avant s’interroge sur la préservation des monuments, sur l’enseignement de l’histoire aux enfants. Sur ce point, le film me fait penser à Interstellar, où le ministère de l’Éducation décidait d’effacer des manuels scolaires toute la conquête spatiale pour convaincre les terriens de se consacrer à leurs fermes.

Bon… Je pars me balader avec mon filet à monstres. Si je croise une manticore sur ma route (ou une belette qui accouche par l’oreille), promis, je vous dépêche un tweet magique.

Sources : Allociné, Wikipédia, les photos sont copyright 2019 Disney/Pixar. All Rights Reserved.

6 commentaires sur « Film : En Avant de Dan Scanlon »

  1. Pixar c’est toujours monstres et compagnie, avec un certain tropisme morbide sur la question du deuil (de l’être aimé, de l’enfance,…). Ce film, comme le prochain d’ailleurs (le très attendu Soul) ne fait visiblement pas exception. Une idée fixe qui me plaît bien, je dois le reconnaître.

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