Reims Polar 2024 #05 – Birthday Girl de Michael Noer

Retour avec un film projeté en compétition officielle, assez déconcertant.

Je ne sais pas si je l’aurais classé spontanément en polar, bien qu’il réponde à la check-list de base : un crime, une enquête, une résolution. Point bonus, en huis clos.

L’intrigue repose sur des faits tellement contemporains et trop souvent entendus dans la réalité (le viol d’une jeune fille alcoolisée) qu’on peine à entrer dans une fiction.

Julie Gayet disait, lors de sa masterclass, qu’elle aimait dans les films noirs et de genre ne pas être dans le néo-réalisme.

Maintenant, c’est malin, je me demande si Julie Gayet aurait aimé un polar comme Birthday Girl. :o)

Un bel exemple de la diversité du polar, puisque sur presque vingt films en compétition, rares sont ceux qui se ressemblent.

Birthday Girl de Michael Noer

De quoi ça parle ?

Pour ses 18 ans, une mère décide d’emmener sa fille en croisière avec sa meilleure copine. Seulement, Madame a un sens de la fête assez alcoolisé, et à force de pousser les ados à se prendre une murge, les choses dérapent.

Le lendemain, la gamine est retrouvée ivre morte dans le solarium, sans culotte et sans souvenir.

La mère comprend immédiatement que sa fille a été victime d’un viol. Rongée de culpabilité, elle va mener l’enquête pour identifier le responsable, puisque dans les eaux internationales, nulle police ne viendra au secours.

Inévitable lorsque des héros partent en mer… la tempête approche.

Pourquoi voir ce film ?

Eh bien, parce que ce polar a un parti pris féminin, ce qui est assez rare dans cet univers où les détectives, quand ils existent, sont généralement des mecs.

Ici, point d’homme si ce n’est pour l’adversité. Les trois protagonistes sont des femmes, et un jeu se crée autour des représentations sexuelles. Un médecin de bord masculin, qui va devoir procéder à l’examen gynécologique, ce qui fait polémique suite au viol. Une capitaine de navire au féminin, qui va recadrer le débat avec objectivisme et sans faire preuve d’empathie ou de sororité, ce qu’on aurait pu attendre d’elle.

La mère en perd ses repères, au point d’aller demander de l’aide à son coup d’un soir, homme de maints services, roulant littéralement des mécaniques sur les machineries du navire, qui va pourtant l’envoyer balader parce qu’il n’a aucun pouvoir. Il est question uniquement de la force des femmes.

S’ensuit (de manière assez prévisible) une réflexion autour d’un possible consentement de la victime. Viol ? Pas viol ? Laisser tomber ? Se battre pour la vérité ? Comment faire, en l’absence de preuves matérielles ?

Cela est encore plus difficile quand l’enfant se rebelle et ne veut pas collaborer, en proie à un conflit parental post-divorce qui ne lui permet pas d’avoir confiance en sa mère. D’autant que la gamine a pour fort enjeu sa vie de couple, puisqu’elle s’apprêtait à emménager avec son crush et quitter le cocon familial. Évidemment, ce viol, elle ne sait pas comment lui annoncer. L’aimera-t-il toujours après ? Ses rêves d’avenir ne vont-ils pas faire naufrage ?

Ce qui s’est produit sur le bateau peut-il ne rester que sur le bateau ? Peut-on tourner la page, l’air de rien ?

Il y a le traumatisme aussi. Comment mener une enquête claire lorsqu’on est sous le choc ? Comment auditionner les victimes, qui ne sont pas prêtes à se remémorer leur souffrance ?

Bref, ce polar se transforme vite en drame réaliste. Pas si étonnant que cela, puisque Michael Noer tourne également des documentaires.

Ce qui me parait faire mouche dans ce récit est le choix de l’arène, le bateau de croisière. Bien sûr, le lieu est utilisé pour renforcer l’isolement et justifier l’absence de police, mais au-delà de ça, il offre une variation intéressante sur la priorisation des problèmes. Il se produit en parallèle du viol une deuxième catastrophe, cette fois collective : une tempête mettant en péril les milliers de passagers.

Ainsi, le viol est repoussé au second plan, non pas qu’il ne soit pas pris au sérieux par les autorités de bord, mais les circonstances font qu’il y a plus urgent à gérer. Pour une fois, le mauvais temps n’est pas employé uniquement en métaphore des tourments intérieurs ou encore comme explication facile pour créer de la tension, mais pour apporter une dimension supplémentaire au récit et j’ai trouvé ce contre-usage plutôt chouette.

Un point négatif : au milieu de toute cette quête de réalisme, l’univers des croisiéristes est réduit à un seul de ses aspects : les soirées festives d’après minuit. Celles où on chante au karaoké, quand personne n’écoute. Où on guinche à la discothèque lors d’une « Silence party », un casque sur les oreilles, au milieu d’une foule zombiesque. Il n’est toujours question que de solitude malgré l’effet de groupe, sur une toile de fond commerciale qui ne fait que promettre du rêve.

On est loin des navigations tranquilles à 70 ans de moyenne d’âge peuplées de cruciverbistes et de danseurs de salon. Exit les clichés de la croisière gentille. Cette position est justifiée par les besoins du film : le réalisme s’arrête aux nécessités de la fiction.

Reste que les choix du metteur en scène semblent être engagés en faveur des femmes, et à ce niveau, on ne peut que saluer l’effort, malgré un résultat final pas forcément emballant sur le plan du divertissement ou de la tension nerveuse.

Pour l’anecdote, ce film a été tourné pendant la pandémie de covid19, lorsque les paquebots étaient amarrés et sans passagers. L’idée en serait venue à la lecture d’un article de presse comparant le nombre de viols en chambre d’hôtel et en bateaux de croisière.

Et si vous voulez en savoir plus, une interview de Michael Noer sur Variety.

A bientôt pour le prochain film !

Retrouvez les précédentes chroniques du Reims Polar 2024 :

#01 LaRoy de Shane Atkinson

#02 Hesitation Wound de Selman Nacar

#03 The Last Stop in Yuma County de Francis Galluppi

#04 Only the River Flows de Wei Shujun

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