L’interview-monstre n°1

13 questions à l’auteur Avril Clémence

Le ciel est légèrement couvert, la nuit tombante. J’entends chanter au loin un loup-garou. Ou est-ce encore la voisine qui mate son dvd du Hellfest ? Hum… Quoi qu’il en soit, c’est l’heure idéale pour quitter ma blouse de monstrothécaire et partir à la rencontre des écrivains de demain.

Je me mets sur mon trente-et-un, on ne sait jamais, j’aime faire bonne impression. Histoire d’appuyer mon effort vestimentaire, je le signale verbalement. « Les costumes trois pièces, c’est pour les occasions très spéciales ! Une sortie littéraire, par exemple ! » 

Cependant, mon interlocutrice me précise avec un sourire qu’elle s’en fout, des chiffres.

J’ai déjà vu cette expression là quelque part. Quelque part dans son roman.

Ce soir, celle que je retrouve assise sur un banc noyé de rosée, non loin de l’étrange lycée gothique de Saint-Brieuc, est l’immortelle Avril Clémence. Rien qu’à l’évocation de son nom, une douce brise primesautière vient réchauffer l’atmosphère.

Ahah, vous vous demandez peut-être ce que je suis en train de faire ?

Aujourd’hui, je vais vous parler de ce livre « Reviens ». Un titre conjugué, pour parler des relations conjugales, au sens large.

D’abord, au commencement était le pitch :

 « Elena n’a pas tout à fait quatorze ans, du moins officiellement. La vie s’étant chargée de la faire grandir au pas de course, c’est sans difficulté qu’elle se fond dans un groupe de jeunes adultes pendant les vacances d’été et qu’elle entame sa première histoire d’amour avec l’un d’eux.

Cette belle rencontre provoquera le tollé et l’incompréhension familiale. Elle marquera pour l’adolescente, le début d’une série de bouleversements psychologiques et de remises en question de sa propre identité.

Comment devenir une femme quand on est encore considérée comme une enfant ? A-t-on seulement le droit d’aimer ?… »

Pourquoi ce livre dans ma monstrothèque ? Parce qu’il s’intéresse aux singularités humaines. Avril Clémence parle de la « nécessité d’être » par rapport aux conventions sociales et aux interdits. Elle met en lumière des personnages qui peinent à entrer dans un moule ou à l’inverse, qui y sont trop enferrés et n’arrivent plus à s’en extraire.

Tout ce qui sort de la norme ouvre l’éternelle question du monstre. Être original, est-ce ça être monstrueux ? Est-ce que l’on peut s’affranchir des codes, des lois ? Que faire quand les autres commencent à s’effrayer de vous ? Ou quand vous commencez à avoir peur de vous-même, de la révolte que vous sentez grandir en vous ? Peut-on seulement s’accepter tel qu’on est ? Ou doit-on s’effacer ?

Et surtout, que faire quand on ne trouve pas sa place ?

Reviens n’évoque pas qu’une seule histoire d’amour, en réalité, mais cinq évoluant en parallèle. La première concerne une jeune fille de 13 ans – bientôt 14 – et un pas vraiment adulte de 21 ans. Tout à fait illégale, mais carrément passionnelle. La seconde, celle d’une femme mûre et d’un jeune homme, est plus discrète, mais tout aussi poignante. La numéro trois est celle d’un mari qui bat sa femme et des difficultés pour s’extraire du cycle de la violence. La numéro quatre, celle d’un adolescent qui humilie sa petite copine. Et la numéro cinq, d’un couple à priori parfait. Ils sont assortis, d’accord, mais ça ne marche pas. Alors, pourquoi ?

Ce livre aurait pu être une étude sociétale, un peu façon Milan Kundera avec son Insoutenable légèreté de l’être. Son but – comme le dit l’auteur – n’est pas de convaincre, ni de solutionner, mais de questionner.

Les amourettes se nouent et se dénouent à une vitesse un peu surprenante. C’est là où l’on réalise qu’après quelques premiers chapitres à l’eau de rose, le genre n’est pas du tout celui du rayon « Harlequin ». Si vous voulez de la jolie fleur bleue, passez votre chemin. On y parle psychothérapie, hérédité, drogues douces, souffrance intérieure, et fuite en avant.

Et puis enfin, s’il ne fallait qu’une seule bonne raison de s’y essayer… ce livre est bien agréable à lire !

Fallait donc que je pose quelques questions à son auteur, c’était obligé.

Ainsi est né le concept de l’interview-monstre.

« Je flotte. Trente bons centimètres au-dessus du sol, dans ma bulle devenue indestructible. Tamao ne lâche plus ma main. Un sourire permanent s’étale sur mes lèvres et je vois le monde autrement. Tout est plus beau, plus grandiose, plus fou. »

Reviens, écrit par Avril Clémence

Q : Bonjour Avril. Peux-tu nous présenter ton parcours en quelques mots ?

Avril Clémence : J’écris depuis toute jeune (onze, douze ans), mais à l’exception de mes années lycée où je laissais une poignée de copines accéder à mes poèmes, c’est resté une activité solitaire et un peu tabou jusqu’à ce que je m’inscrive sur le forum Jeunes Écrivains, il y a presque trois ans. J’ai répondu à un appel à textes et ma nouvelle a été retenue, c’est comme ça que j’ai commencé à sortir du placard vis-à-vis de mon entourage, même si je ne leur ai pas parlé tout de suite du roman sur lequel je travaillais depuis déjà dix ans.

Q : Ton premier roman intitulé « Reviens » vient de paraître aux éditions Libre2Lire ce 10 janvier 2020. Ce roman s’adresse-t-il a un public ciblé ou est-il accessible à tous ?

Avril Clémence : Je crois qu’il faut pouvoir prendre un peu de recul pour appréhender ce roman dans le bon sens, donc même s’il est narré par une adolescente, il se destine à un public majeur. Lorsque j’ai commencé à chercher un éditeur, la question de le proposer à des maisons spécialisées dans la littérature jeunesse ou young adults s’est posée, mais la loi dispose que les publications destinées à la jeunesse « ne doivent comporter aucune […] insertion présentant sous un jour favorable […] la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse […] ». Le roman est porté par un personnage dont la conduite n’est pas irréprochable, mais il appartient surtout au lecteur de se faire sa propre idée sur les événements, il n’y a pas de morale tranchée. D’où la destination du livre à un lectorat majeur.

« Il y a des jours où tout va mal. Des jours où le cosmos lui-même semble prendre un malin plaisir à tout mettre en œuvre pour vous pourrir la journée. Aujourd’hui, je crois qu’il veut ma mort. »

Reviens, écrit par Avril Clémence

Q : « Reviens » se décompose en trois parties. Pourquoi ?

Avril Clémence : L’histoire se déroule sur un arc temporel de cinq ans. Entre la première ligne du roman et le mot FIN, l’héroïne vit des événements forts qui ont une influence décisive sur son évolution ; évolution que l’on suit en direct puisque le récit est narré au présent et à la première personne. Les trois parties représentent trois moments clefs de la vie d’Elena, dont chacun s’inscrit dans un contexte, une ambiance, un état d’esprit et, donc, un ton très différents. C’est la lecture globale de ces trois temps qui donne tout son sens au dénouement.

Q : Ta première partie « On s’en fout, des chiffres » aborde avec beaucoup de tact les tourments de l’adolescence et la fameuse « première fois. » Mais comme rien n’est simple, tu as choisi de donner à cette histoire un aspect plus singulier que de coutume ? 

Avril Clémence : Oui ! Avec ce roman, je voulais partager certaines de mes interrogations autour de la maturité chiffrée. Quand j’ai commencé à l’écrire, il y a plus de dix ans, je ne pouvais pas imaginer que le sujet s’inscrirait à ce point dans l’actualité une fois terminé, mais tant mieux. Le débat actuel me semble incomplet car il ne se penche pas sur les cas particuliers, or il en existe, même s’il est vrai qu’ils sont rares, et si je comprends qu’ils dérangent, je trouve aussi intéressant et important d’en parler.

Q : Ne crains-tu pas de présenter un point de vue un peu « monstrueux » de l’amour ?  

Avril Clémence : Non, car il n’y a pas de manipulation dans l’histoire mise en scène. On a, au contraire, deux personnes qui sont conscientes de l’interdit et qui, sur le papier, auraient prôné un comportement différent de celui qu’elles adoptent dans la situation qui est la leur. Cependant, il faut aussi prendre du recul par rapport à tout ça et garder à l’esprit plusieurs choses : il s’agit d’une œuvre de fiction et l’héroïne évolue dans un contexte familial difficile, qui l’a obligée à grandir plus vite que la moyenne. On ne parle pas d’une ado lambda et il n’est pas question d’oublier ni de minimiser les autres facettes de la problématique très complexe des relations amoureuses avec un écart d’âge important.

« Le phénomène ne dure qu’une fraction de seconde mais laisse sur ma peau une empreinte sensorielle aussi étrange qu’inédite. »

Reviens, écrit par Avril Clémence

Q : Dans la seconde partie « Je suis le fruit pourri tombé de son arbre malade », le récit parle moins de romance et davantage de la famille et de la question de l’hérédité. Ton héroïne parle beaucoup de « la louve » qui se cache en elle. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’aborder le sujet des démons intérieurs ?

Avril Clémence : Je fais un assez bon spécimen du cliché de l’écrivain secret et torturé, donc c’est un sujet qui me parle, au sens large. Chacun à son niveau doit composer avec sa propre tambouille pour se construire et les cheminements s’avèrent parfois très surprenants, je trouve ça fascinant. En l’occurrence, je ne voulais pas d’une héroïne toute lisse qui prendrait conscience de tout sans s’abîmer un peu au passage. Certaines personnes ont besoin de flirter avec leur côté obscur et de se faire peur pour avancer, et j’ai voulu que ce soit son cas.

Q : Ton héroïne est également marquée physiquement par une cicatrice. En quoi cette dernière joue-t-elle un rôle important dans cette histoire ? 

Avril Clémence : Son emplacement crée un rappel quotidien d’un événement traumatisant pour l’héroïne et vient compliquer encore un peu plus un processus d’acceptation de soi déjà laborieux. À travers cette cicatrice, c’est tout le trouble lié à l’identité d’Elena, tout son passif et toutes ses craintes qui prennent forme ; à quatorze ans, c’est particulièrement lourd à gérer.

« Je ressemble à mon père, oui. Je le vois et, surtout, je le sens. C’est comme un poison qui se répand dans mes veines. »

Reviens, écrit par Avril Clémence

Q : La troisième partie « J’ai treize ans à nouveau » parle de reconstruction. Est-ce que c’est bon, ton héroïne Elena, a réussi à vaincre tous ses monstres ?

Avril Clémence : Joker ! Je vous laisse lire le livre pour vous faire votre propre idée.

Q : Tu fais référence dans ton récit au conte de Boucle d’Or et les trois ours. Ce conte a-t-il été un point de départ dans la construction de ton récit ou de ton personnage principal, ou s’est-il plutôt imposé au fur et à mesure de l’écriture ?

Avril Clémence : Ni l’un ni l’autre, en fait ! La référence à Boucle d’Or m’est venue un jour où j’essayais désespérément de rédiger un résumé de l’histoire pour le forum d’écriture où je la publiais. Le résumé n’était pas terrible et ressemblait plus à un quatrième de couverture, mais la référence s’intégrait plutôt bien dans le passage que j’étais en train d’écrire, alors je l’ai réutilisée. (Ou comment casser un mythe en trois lignes !)

Q : Pourquoi avoir choisi un sujet aussi réaliste pour un premier roman ? 

Avril Clémence : J’ai, même en tant que lectrice, une prédilection pour ce genre de littérature car elle met des mots sur des réalités qu’on a parfois du mal à comprendre ou qu’on ne côtoie pas du tout. J’aime lire pour m’évader, mais aussi pour réfléchir, et je crois que le même processus se met en œuvre quand j’écris. J’écoute, j’observe,  et tôt ou tard les choses qui me marquent se retrouvent couchées sur le papier. En ce qui concerne ce roman, le sujet s’est imposé à moi plus que je ne l’ai choisi. Les éléments de départ sont le fruit de réflexions et d’interrogations qui sont nées de choses vues ou entendues à un moment donné, tout ça s’est structuré de façon plus ou moins consciente, et un jour, je me suis mise à écrire. Je ne me suis pas levée un matin avec l’envie de raconter une histoire pour raconter une histoire.

« Elle et moi avons un problème commun avec le bonheur : nous n’osons pas y croire, ni en jouir. »

Reviens, écrit par Avril Clémence

Q : Au-delà de « Reviens », tu es également connue pour t’être essayée à plusieurs genres littéraires, comme l’érotisme ou l’écriture de nouvelles pour adultes et enfants, notamment sur le thème d’Halloween… Es-tu une touche à tout ?  

Avril Clémence : Je suis curieuse et j’ai envie d’essayer pleins de choses, mais ça ne veut pas dire que je ferai toujours de tout. L’érotisme, par exemple, est un exercice auquel je me suis prêtée pour voir ce que j’étais capable de produire. C’était intéressant, mais ça n’a pas été le coup de foudre, donc je ne prévois pas d’écrire d’autres textes de ce genre. Je crois qu’il faut tenter pour savoir si on est fait pour telle ou telle chose, c’est important de ne pas se fermer de porte.  

Q : Quels monstrueux projets nous réserves-tu pour l’avenir ?   

Avril Clémence : J’espère terminer tout bientôt le premier jet d’un second roman qui est, contrairement à ce que je prévoyais au départ, la suite de « Reviens ». Je songe aussi à écrire un troisième opus, toujours réaliste, autour d’un thème qui m’a pas mal bousculée lors de sa découverte il y a quelques mois, mais entre les deux, j’aimerais faire une « pause » et tenter de développer une nouvelle fantastique qui dort dans mes tiroirs depuis un an. Et ensuite… on verra. Je fonctionne beaucoup au feeling, alors rien n’est jamais vraiment figé.

Q : Et pour finir, l’affreuse question.  Si tu devais choisir un livre ou un film à placer sur une étagère de la monstrothèque, lequel et pourquoi ?    

Avril Clémence : Se7en ! Dans le genre psychopathe qui se pose là, on est pas mal. Je ne compte plus le nombre de fois que je l’ai vu, mais à chaque fois, je m’y laisse prendre. Le jeu des acteurs est phénoménal !

Eh bien, un grand merci à Avril Clémence, pour sa participation !

Je précise qu’aucun auteur ni écrivain n’a été maltraité lors de la réalisation de cet entretien.

L’ouvrage « Reviens », fraîchement sorti début janvier 2020 est disponible dans toute bonne librairie et notamment sur le site de l’éditeur, Libre2lire. (avec des avis de lecteurs pour vous faire rêver.)

Le roman pèse 446 pages. Il s’agit pour l’instant d’un one shoot s’inscrivant dans le genre de la littérature contemporaine réaliste, type romance, option « mais pas que ».

Si vous souhaitez découvrir Avril Clémence, ses secrets, ses ambitions diverses pour conquérir le monde, voici sa carte de visite :

Un avis sur « L’interview-monstre n°1 »

  1. Je confirme. J’ai eu la chance de pouvoir lire Reviens et c’est une autrice très très talentueuse avec une écriture qui vous aggripe le cœur pour ne plus le lâcher jusqu’à la dernière page.

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