Film : The Gentlemen de Guy Ritchie

Fortune et gloire : quand l’ambition nous dévore

« Dans la jungle, le lion ne survit pas en se comportant comme un roi, mais en étant le roi. »

The Gentlemen de Guy Ritchie

À la sortie du ciné, j’ai hésité à chroniquer ce film, car il est complexe. Et sans le revoir une seconde fois, difficile d’y apporter une analyse correcte. Et puis… Allez, un peu de courage. Ce n’est qu’un film de gangsters après tout.

Mais pas n’importe lequel ! The Gentlemen de Guy Ritchie tient de la pépite cinématographique.  

Pourquoi ? La réponse en deux mots : du scénario.

Si vous supportez l’humour trash et les dialogues fleuris, ce film va être votre nouveau chouchou.

À cela s’ajoute un casting de rêve, avec entre autres :

  • Hugh Grant (dans un film de gangsters, vous imaginez ?)
  • Charlie Hunnam, (Pacific Rim, entre autres…)
  • Matthew McConaughey (le merveilleux premier rôle d’Interstellar et de Free State of John)
  • Colin Farrell (Phone game, Minority report, Prémonitions…)
  • Et chez les femmes… Michelle Dockery ! Son nom ne parle pas à tout le monde, mais pour la resituer, c’est l’actrice portant le rôle de Mary dans Downton Abbey. Autant dire qu’elle nous réussit là un superbe grand écart cinématographique. 

Guy Ritchie s’est amusé, paraît-il, à réécrire certaines scènes le jour même de leur tournage, changeant des passages, créant des surprises. Résultat, tout le monde s’amuse à l’écran et cela est bien plaisant à voir.

Mais il faut aussi vanter la photographie impeccable de ce film et un rythme qui vous accroche du début à la fin. La scène d’ouverture — un meurtre, un jukebox, un whisky et un œuf mariné — donne le tempo. Suivie presque aussitôt par un générique moderne, digne d’un James Bond, qui vous donne envie de trépigner sur votre fauteuil rouge et douillet. Fond musical sympathique… Perfecto.

Puis l’intrigue commence autour d’un bon barbecue. Deux personnages discutent, se la racontent, se niaisent en toute courtoisie et vous, vous les écoutez, en observant la viande brunir. On nous propose une rencontre amicale entre deux gangsters gentlemen. Prenez donc un verre et laissez-vous porter par leurs histoires.

Zoom arrière, pour permettre une vision un peu plus large.

Dans un Londres rongé par les luttes de pouvoir, des bandes rivales s’affrontent, notamment :

  • Big Dave, l’adepte des ragots et des truies
  • Mickey Pearson, le roi lion et aussi roi de la weed,
  • Lord George, la tête du dragon
  • Œil sec, la queue émancipée du dragon
  • Matthew et ses crabes du Mossad,
  • Coach, prof de box, et sa bande de gamins youtubeurs,
  • Fletcher, l’agent solitaire, traître dans les rangs ennemis

Mickey Pearson (Matthew McConaughey) souhaite partir à la retraite et vendre ses fermes de cannabis au plus offrant. Matthew se propose pour les acheter, ainsi qu’Œil sec, un sous-fifre du réseau chinois.

Seulement, quelqu’un de malintentionné mandate une bande de gamins pour s’en prendre aux exploitations de Mickey et faire chuter les prix du marché. Une baston s’improvise parmi la verte prairie. Le tout est filmé et mis sur le web, dans une vidéo digne de Windows Movie Maker, avec du slam et des rimes qui feraient blêmir le spectre de Shakespeare.

« T’es ou t’es pas, wesh, la question est tebé, brother. »

Fletcher (Hugh Grant) sait qui c’est et il veut bien tout balancer à Mickey contre une mallette pleine de billets. Il va démêler toute la vérité, rien que la vérité, et a un plan génial, duquel tout le monde sortira vainqueur.

Je ne peux pas vous résumer davantage l’histoire, sans vous la gâcher alors je vous laisse sur ce steak qui cuit toujours, sans détail complémentaire.

Simplement, si tout a l’air compliqué de prime abord avec une foule de personnages, je peux vous garantir qu’à la fin, vous en aurez pour votre patience.

« Oh, femme ! Tu me menaces avec un presse-papier ? »

« Il était une fois un jeune dragon stupide, venu demander à un lion sage et rusé d’acquérir son territoire. Le lion n’était pas intéressé. Alors il a dit au petit dragon de foutre le camp. Le dragon a insisté. Le lion a pris le petit dragon pour une promenade et a mis cinq balles dans sa petite tête de dragon… Il y a un message là-dedans. Vous pouvez peut-être me l’expliquer. »

The Gentlemen de Guy Ritchie

Ce n’est pas la première fois que Guy Ritchie nous livre une telle pelote de laine. Ce film porte sur lui l’esprit de Snatch. Mais personnellement, j’y retrouve aussi ce que j’aime dans les Tarantino. Comment ne pas penser aux Huit salopards ? Ou à Pulp Fiction ? Ou Jacky Brown ? Ou Django Unchained ?

Ce souci du dialogue, ces répliques qui croustillent encore sous la langue, mieux que du popcorn. Et également, cet appétit pour l’immoralité et les scènes de violence. Vous voulez un bon gros vomi ? Du sang ? Des parachutistes de l’extrême ? (Paf, le sol.) Des échanges passionnants sur la culture du vice et la conservation des toitures des anciens châteaux anglais ? Ce film est pour vous. 

Dans un autre genre, ce film se rapproche également d’Usual suspect.

On y discute montée en puissance et carrière réussie pour un gamin des rues qui étaient autrefois la risée de tous. Un petit côté de Keyser Söze, non ?

« Ce sont de bons gamins, vous savez. Ils doivent comprendre les conséquences de leurs actes. »

 « Il n’y a qu’une seule loi dans cette jungle. Quand le lion a faim, il mange. »

The Gentlemen de Guy Ritchie

Côté monstre, maintenant.

Je vais vous le dire droit dans les yeux, en bombant le torse et en haussant un sourcil… C’est l’ambition.

Dans les sept péchés capitaux, vous trouverez l’orgueil et la gourmandise… Eh bien l’ambition, c’est leur progéniture maudite.

L’ambition fait partie des monstres que nous possédons tous en sommeil, et que nous réveillons de temps à autre dans les moments judicieux de notre vie, ou pas. (Je suis sûr que chacun dispose de son propre exemple honteux en tête.) C’est au départ une qualité. Cela en devient un défaut dès qu’elle devient excessive.

Ce monstre nous touche car nous sommes tous susceptibles un jour de basculer du côté obscur. De prime abord, elle est tentante, on nous présente ses effets bénéfiques. (« commencez par vendre des frites, vous finirez patron. ».)  Et puis un jour… ça dérape. (Game of thrones, ou comment une épopée Mac-do peut mal tourner.)

L’ambition peut faire disjoncter n’importe quel scientifique, homme politique, homme d’affaires. Un crédo commun : toujours plus, toujours davantage, plus fort, plus haut, mieux payé, plus d’argent, plus vite.

Quand on en est au stade tripe plus, vous obtenez un monstre.

Encore une fois, on parle de monstre au sens littéral : « personne qui provoque la répulsion par sa difformité. » Une ambition démesurée est bien pire que le nez de Cyrano. Elle crève le paysage, tout le monde s’en rend compte sauf le concerné : l’ambitieux.

« Hé, chérie ? Si je prenais ma retraite ? On pourrait s’embourgeoiser ? Non, je déconne. »

Nous pouvons trouver beaucoup d’histoires réalistes (et pour certaines à caractère autobiographique) sur le sujet.

La meilleure, dans le domaine de la finance, c’est le Loup de Wall Street de Martin Scorsese.

Tout est dans le titre ! Sous couvert de faire fortune, les ambitieux cherchent à se manger les uns les autres. L’ambition se représente sous la forme d’un animal prédateur. Cette fois un loup, alors que Guy Ritchie préfère, vous l’aurez compris, la métaphore du lion.

Un des plus anciens films sur le sujet date de 1941 : Citizen Kane d’Orson Welles, film longtemps considéré comme un des meilleurs du monde. (Même si à mon sens, il a pris aujourd’hui dans les dents un bon coup de vieux.) Dans cette oeuvre, la mort d’un milliardaire sert de prétexte aux journalistes pour retracer l’ensemble de son parcours.

Dans le milieu de la pègre, évidemment, je pense à Scarface de Brian de Palma. Ou plus récemment mais réalisé avec beaucoup de pertinence, Barry Seal avec Tom Cruise (pour une fois qui joue bien. Et un bon rôle, en plus.) Comment aussi ne pas penser au Parrain ou aux Affranchis ? L’ambition se marie souvent avec l’illégalité, parce qu’il s’agit d’un moyen aisé de gagner vite et bien argent et pouvoir.  

La mauvaise ambition, c’est ce qui vous pousse à enfreindre les règles plutôt que d’attendre son tour.

Vous aimez la politique ? La meilleure série sur le sujet, c’est évidemment House of Cards, et la course à la maison blanche…

Vous aimez le poker ? Regardez Le Grand jeu de Aaron Sorkin. L’histoire merveilleuse d’une ascension et de la chute qui s’ensuit. Pour une fois, c’est un film dont la protagoniste est une femme ! Le parcours de cette ancienne sportive de haut niveau devenue organisatrice de parties clandestines est extrêmement bien raconté.

Un peu de science-fiction ? Regardez Limitless, un film dans lequel l’ambition sert de point faible au protagoniste. Résultat : il ne peut s’empêcher d’acquérir une drogue qui décuple mille fois ses capacités… On prend vite goût à la facilité. Quand on sait pouvoir devenir génial en gobant une gélule, on ne peut plus s’arrêter.

L’ambition est souvent utilisée de ces deux manières : soit il s’agit d’une faiblesse établie du héros-protagoniste, soit elle se personnifie par un antagoniste qui cherche — le plus souvent — à détruire/s’approprier/exploiter l’humanité à son profit. Un exemple que j’aime bien : Kingsman n°2, le cercle d’or. Le super méchant de ce film, une femme avec un bon grain de folie, souhaite tout simplement développer son commerce et devenir baron de la drogue et tant pis pour les dommages collatéraux.  

Au rayon MARVEL/DC COMICS, vous avez le must de la personnification de l’ambition. En général, les monstres au début du film sont des Messieurs Tout-le-Monde, et à la fin, vous les voyez avec de gros muscles, des yeux injectés de sang et des gros éclats de rire plus ou moins déments :

  •  Le super méchant de Spiderman voulait à tout prix prouver que son expérience scientifique pouvait marcher également sur des êtres humains. Manque de bol, il se transforme en super monstre après avoir testé son expérience sur sa propre gentille tête.  
  • Le quasi même méchant existe dans Ant Man, toujours à cause d’une expérience scientifique « que je vous jure, cette fois ça va marcher ».
  • Dans Wonder Woman, vous pouvez rencontrer de très chouettes mégalomaniaques voulant conquérir l’humanité et répandre horreur et désespoir un peu partout. Dont Arès, le dieu de la guerre, carrément.  
  • Dans Thor, vous avez le petit frère Loki qui veut hériter du trône. Les histoires de royauté, d’empire et de conquête sont d’ailleurs un leitmotiv de l’ambition.

Dans la littérature, le plus chouette ambitieux de tous les temps, c’est Macbeth accompagné de sa chère et tendre épouse. Ou quand un prétendant au trône décide de « forcer » un peu le destin, sous couvert de réaliser une prophétie.

Un autre livre méconnu sur l’ambition : La Part de l’autre d’Éric Emmanuel Schmitt. Cet ouvrage met en opposition deux versions d’Hitler : celui que notre monde a connu et le celui qu’il aurait pu devenir, s’il avait réussi ses études artistiques. L’un est ambitieux et monstrueux, l’autre va développer sa compassion pour son prochain. Le tout est traité avec beaucoup de délicatesse. Tout n’est pas facile à lire, mais il s’agit d’une réflexion intéressante sur ce qui compose notre identité, et par extension notre monstruosité.  

Si voulez des monstres pour enfants, vous avez des ambitieux dans Le Roi lion (« Scar, tu sais mon lion, tu ne seras jamais roi ») et dans La Reine des neiges (« Prince Hans, tu sais mon chevelu, tu ne seras jamais roi non plus. ») Et dans Aladdin, le personnage de Jafar, le grand vizir…

Parce que oui, l’ambition, c’est un monstre que l’on inculque à notre jeunesse, histoire de l’en vacciner.

D’ailleurs, en parlant grand vizir. Au rayon bande dessinée humoristique, vous avez le sympathique Iznogoud, qui rêve de devenir calife à la place du calife. Plein d’autres films et romans pourraient encore être cités.

« Vous avez une tache sur votre épaule, Big Dave »

Pour en revenir aux Gentlemen, s’agit-il d’un film ambitieux ?

Oui et non. En restant dans un genre maîtrisé, Guy Ritchie ne prenait pas vraiment de risques. D’ailleurs, son film ne plaira certainement pas à tout le monde, l’humour étant noir et le second degré requis.

Mais si vous aimez les punchlines… Eh bien foncez !

Dans ce domaine, le lion Ritchie est roi.

Sources : Wikipédia, Allociné, les illustrations de l’article sont copyright Christopher Raphael

5 commentaires sur « Film : The Gentlemen de Guy Ritchie »

  1. Je ne connais pas ce film, mais j’avoue ne jamais avoir trop accroché à l’humour de Guy Ritchie…
    L’analyse sur les côtés sombres de l’ambition est très intéressante. C’est un peu toujours le problème avec la nature humaine : un peu, ça va, beaucoup, bonjour les dégâts (et ça marche avec presque tout : l’ambition, le caractère, l’alcool, le chocolat, etc. ^^)

    Aimé par 1 personne

  2. Super article et belle analyse de l’ambition à travers la littérature, les séries et le cinéma !
    J’ai énormément aimé The Gentlemen, et c’est un film que je reverrai avec grand plaisir tellement de choses m’ont échappé et tellement les scènes sont délicieuses !

    Aimé par 1 personne

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