Film : Le voyage du Docteur Dolittle de Stephen Gaghan

D’après les personnages crées par Hugh Lofting

Docteur Dolittle : l’homme qui parlait aux animaux

Jeunes gens, qui n’a jamais rêvé de causer à un ours blanc ou de nager avec une baleine ?

Jeunes femmes, qui n’a jamais souhaité observer Robert Downey Jr. en plein bouche à bouche avec un écureuil prénommé Kévin ?

Jeunes étudiants en médecine (pauvres de vous), qui n’a jamais songé à déboucher l’anus d’un dragon enflammé ?

Ce film vous offre tout ça. Et bien plus encore. Et c’est un film de monstre, oui, oui, oui.

Donc, aujourd’hui, je suis allé voir un bon petit produit du cinéma jeunesse, regroupant quelques acteurs spécialistes des écrans verts. Et nommé… roulement de tambours et hululement de chouettes :

Le Voyage du Docteur Dolittle de Stephen Gaghan

Ceci n’est pas un grand film, vous vous en doutez, mais ce n’est pas une raison pour le laisser au placard.

« Chee-chee, je vais te réciter un mantra sur le courage avant de tomber comme une crotte à l’eau »

Sur le principe des douze romans de Hugh Lofting et des six premiers Docteur Dolittle incarnés jadis par Rex Harrisson et Eddy Murphy, le personnage principal est un médecin disposant de l’incroyable capacité de causer à chaque bête de ce monde.

Rappelons très brièvement les films précédents :

  • Film 1 (1967) : Le Docteur Dolittle s’évade de l’asile pour partir à la recherche d’un escargot géant. Info supplémentaire : il s’agit d’une comédie musicale.
  • Film 2 (1998) : Le Docteur Dolittle, médecin de San Francisco réalise qu’il sait parler aux animaux et que c’est peu conventionnel, dans le monde moderne.
  • Film 3 (2001) : Le Docteur Dolittle, prêt à partir en vacances, doit tout laisser tomber pour aller sauver une forêt et un ours.
  • Film 4 (2006) : Concerne les aventures de Maya, la fille du Docteur Dolittle.
  • Film 5 (2008) : Idem, la fille du Docteur Dolittle reçoit une mission du président des États-Unis. 
  • Film 6 (2009) : Idem, la fille du Docteur Dolittle part en mission à Hollywood.

Avec Le Voyage du Docteur Dolittle de Stephen Gaghan, nous revenons vers le passé du célèbre médecin, à l’époque où il était encore jeune, négligé, et sauvage.

L’histoire commence avec un prologue digne de la Reine des Neiges croisée avec Alice au pays des merveilles : famille heureuse, grand voyage, bateau qui coule, chagrin terrible.

Profondément misanthrope depuis le décès de sa bienaimée, le Docteur Dolittle doit toutefois sortir de sa grotte pour aller sauver la reine Victoria, empoisonnée par des méchants qui ne supportent pas de voir l’Angleterre gouvernée par une femme. (et hop, porte ouverte à la cause féministe.)

Sur son chemin, le Docteur Dolittle va récolter un apprenti et retrouver un peu d’espoir et de foi en l’humanité. La morale, répétée de long en large : « aider les autres, c’est s’aider soi-même ». 

C’est beau.

« Dis gamin, tu n’as pas l’impression de remaker le roi lion ? Mais c’est pas Mufasa, là, c’est une mouette. »

Comme vous pouvez le constater, le pitch de base n’a rien de très compliqué, ni de très original.

Ceci est un film de type voyage initiatique (avec option « je trouve un item en route avant d’affronter le boss final »), réservé à un public familial de préférence. La première demi-heure se regarde très bien. Après, on arrive malheureusement à une succession de péripéties tellement classiques qu’on ne peut que décrocher, malgré les efforts de l’acteur principal, Robert Downey Jr. (Iron Man, Sherlock Holmes), pour tenter de nous faire rire.  

Vous savez tout le mal que l’on entend autour de Johnny Depp, depuis son premier Pirate des Caraïbes (qui est excellent, d’ailleurs) ? Eh bien, on va l’entendre de nouveau à propos de Robert Downey Jr.

Même symptôme : la délicatesse de ses mimiques habituelles se trouve ici bafouée par des expressions exagérées et répétitives. Son jeu d’acteur s’est perdu en route. Ajoutez à ça des costumes bariolés, des blagues sur le pet des dragons et des répliques constituées de grognements d’animaux… Voyez le résultat. Rien de très fin, malheureusement, mais ça n’est pas le plus grave.

Je peux rire de boutades grasses et lourdaudes à la condition d’avoir derrière un scénario correct. Mais celui-là est repompé de tout ce qui existe déjà en la matière.

On part du classique « il faut sauver la reine ». (Tout le monde y a eu le droit, de James Bond à The Queen’s Corgi), on enchaine avec une aventure ponctuée d’échecs comiques à la Pirate des Caraïbes n°4 ou n°5, les moins bons. (Ben oui, ça se passe en pleine mer, d’ailleurs, ils plaisantent même sur le sujet) et on termine par une fin débordante de facilité scénaristique, digne des épisodes que l’on croise le dimanche matin à la télé aux horaires réservés aux enfants. (« Vous ne passerez paaas… Ah si, car vous m’êtes sympathiques. Je vais faire une exception. »)  

« Fichtre, pourquoi c’est Jack Sparrow qui a hérité du beau chapeau ? »

Que dire de positif ?

Déjà, il y a un travail dramaturgique intéressant sur les besoins cachés du protagoniste et sur l’évolution de ce dernier. Le Docteur Dolittle est tout d’abord égoïste, puis progression : il va consentir à aider les autres pour atteindre ses objectifs. Il va ensuite choisir de se sacrifier pour défendre son prochain, avant de prendre conscience qu’il ne peut plus continuer à demeurer dans la solitude. Les différentes ficelles sont assez grossières pour permettre à tout le monde de saisir, et justement, pour les adeptes de l’Anatomie du scénario, vous y retrouverez les points majeurs des concepts développés par Truby. (sans pour autant que cela réussisse à sauver le film, malheureusement.)

Deuxième point positif, l’intrigue principale (sauver la reine) est assortie de tout un tas de mini-intrigues secondaires. Chaque personnage possède son propre arc narratif, chacun trouvera quelque chose à l’issue de son voyage. Suivre l’évolution croisée de tout ce petit monde est là encore un bon exercice pour appréhender la conception d’un récit. 

On peut dire aussi que c’est un film où les persos féminins sont forts. La reine Victoria est une femme. La grande et superbe exploratrice qui découvre la route vers l’arbre de vie est une femme. L’émissaire de la reine est une jeune demoiselle certes un peu coincée. Les hommes apparaissent au second plan sur les rangs du pouvoir. Même si la plupart des personnages à l’écran sont masculins (le Docteur Dolittle, son apprenti, le roi de l’île mystérieuse — qui n’est autre qu’Antonio Banderas —, les divers antagonistes…) on sent un équilibre global.

« Je te regarde par en dessous, mais c’est pour mieux te toiser, petit. »

Enfin, les effets spéciaux sont badass. Chaque bestiole dispose de son propre caractère, on y retrouve l’écureuil névrosé, le gorille paniqué, l’ours frigorifié qui chambre sans arrêt sa copine autruche, un perroquet, le phasme, les baleines, le poulpe, un chien à lunettes, des tas de singes, un tigre complexé, des fourmis, des libellules, un canard qui a un souci avec le céleri…

Rien à dire de ce côté-là, toutes les scènes en présence d’animaux sont vraiment réussies. Les décors sont riches, les acteurs sont investis (même si je râle pour le principe) il y a eu du bon boulot de fait.

Si vous souhaitez vous divertir pendant une heure et demie sans vous prendre la tête, vous y trouverez votre compte.


Passons aux choses sérieuses : les monstres maintenant.

Le Docteur Dolittle dispose de l’extraordinaire pouvoir de parler aux animaux. C’est donc un homme monstrueux, dans le sens où il possède une singularité hors norme. Il s’apparente aux super héros ou aux mutants, sans pour autant que sa spécificité ne soit expliquée par des origines extraterrestres ou un hasard génétique.

Au contraire, il part du principe que son don provient d’une réelle empathie, d’une compassion et d’une patience rare envers son prochain. Tout le monde peut apprendre à dialoguer avec les animaux, il suffit déjà de savoir les écouter. Dolittle va d’ailleurs partager ses connaissances avec son poulain. (Enfin… Ce n’est pas un cheval. Son apprenti, quoi.)

Concrètement, le Docteur Dolittle est humain, mais s’exprime par rugissements, feulements, ronronnements, aboiements, caquètements, glougloutement… La cacophonie engendrée par toutes ces langues génère des scènes assez amusantes, quand on passe du point de vue humain, puis rapidement au point de vue animal où une voix off vient gentiment traduire ce qui nous échappait quelques secondes plus tôt.   

Le Docteur Dolittle est un monstre indubitablement sympathique. Il aurait pu commander des hordes de créatures déchainées et leur dicter de détruire l’humanité. Il aurait pu dresser ses amis et leur apprendre à nous haïr. Mais non, il est médecin, et son objectif est de sauver la vie de son prochain.

« On n’aurait pas dû laisser l’escargot prendre la photo, ça va encore mettre trois plombes »

Si on rencontre souvent dans la fiction (et essentiellement dans les dessins animés) des bestioles qui parlent aux humains, il est plus rare de voir l’inverse dans un contexte réaliste. Si tout le monde pouvait causer aux animaux (comme dans Paddington), l’intrigue perdrait tout intérêt. Ce qui est important, c’est pourquoi le Docteur Dolittle arrive à manier ce pouvoir au contraire de ses congénères.

C’est sûr que si vous regardez la relation privilégiée entre Lucky Luke et Jolly Jumper, ou entre Sven et Christophe (la Reine des neiges), vous obtiendrez un commencement d’explication. L’amitié, c’est fantastique, c’est magique… Mais parler à un animal avec qui on a de la complicité, ça n’est pas la même chose que de causer à l’ensemble des espèces vivantes comme le fait Dolittle.

Vous avez après des réponses semi-scientifiques ou comportementalistes.

Dans Tarzan, personnage de roman et de très nombreux films, c’est parce que le petit humain grandit dans la jungle qu’il va acquérir les rudiments de la langue grand-singe. Principe similaire dans le Livre de la jungle, où Mogwli va s’intégrer et causer aux habitants de la forêt, car il y aura passé l’essentiel de son existence.    

Dans des Gorilles dans la Brume, superbe film biographique inspiré de la vie de Diane Fossey, anthropologue, la communication est le fruit d’une observation mutuelle des uns et des autres. Chacun va s’imprégner de son prochain et surtout de ses attitudes, de telle sorte que Madame Fossey sera capable de comprendre lorsque ses gorilles seront en danger. Il s’agit d’un récit tout à fait réaliste, ce qui permet pour une fois d’avoir une approche cohérente sur la question. À noter que Madame Fossey était considérée comme une sorcière par les tribus voisines de son campement.

Dans La Planète des singes, le livre et les films originels, les singes ont appris le langage des hommes qui, eux, sont revenus à une expression primitive. Dans la dernière trilogie, c’est l’inverse. Les interactions se font par la langue des signes entre humains et les singes les plus intelligents/coopératifs.

Dans L’Odyssée de Pi (livre et film), l’enfant ne parle pas réellement au tigre et le tigre ne parle pas réellement à l’enfant. Il s’agit d’une métaphore filée et développée tout au long du conte.   

Après, nous tombons dans le registre de la science-fiction (Les Gardiens de la galaxie) où des animaux provenant d’une autre planète sont dotés de la parole ou l’ont acquise après des expériences scientifiques (Les Tortues ninja), ou dans le répertoire de l’imaginaire (Alice au Pays des Merveilles) où parler aux animaux est considéré comme logique et rationnel.

Le docteur Dolittle, sa fille et son apprenti sont-ils des monstres uniques en leur genre ?

Très curieusement, on prêtait à François d’Assises, religieux né en 1181, le don de savoir parler aux animaux. Il en est d’ailleurs devenu le saint patron.   

On peut dire que le concept ne date pas d’hier, cependant, il est difficile à développer dans un récit de fiction. Les personnes capables de parler aux animaux sont peu exploitées dans la littérature, comme au cinéma. Ce monstre conserve donc tout son potentiel, à charge pour celui qui voudra l’employer de fournir une explication cohérente pouvant capter l’attention des lecteurs et spectateurs.  

Sur cette méditation profonde, je vous laisse, mon chat m’attend pour prendre le thé. Il vous salue et vous souhaite un bon weekend.

Sources : Allociné, Wikipédia… Les photos sont copyright 2020 UNIVERSAL STUDIOS and PERFECT UNIVERSE INVESTMENT INC. « All Rights Reserved », comme on dit.

5 commentaires sur « Film : Le voyage du Docteur Dolittle de Stephen Gaghan »

  1. La dernière fois que j’ai vu un type qui essayait de parler à un animal au cinéma c’était Pattinson avec une mouette dans « The Lighthouse ». L’oiseau a pris cher, et le type ensuite. Je préfère depuis rester à distance respectable de ces bêtes.
    Sinon, chouette article sur ce toubib qu je ne connaissais que de nom.

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    1. Tippi Hedren dans Les Oiseaux d’Hitchcock avait essayé aussi et ça ne lui avait pas réussi non plus. C’est quoi cette manie de vouloir à tout prix causer aux oiseaux ? :p
      Pour Dolittle, les films s’effaceront vite des mémoires, mais j’aimerais bien creuser la piste des romans jeunesse. C’est un peu comme le Grinch : à la base, le concept est bon.

      Aimé par 1 personne

  2. Pour l’avoir vu, je dirais même que ce film est vraiment pour enfant. Personnellement j’ai été déçue en allant le voir, parce que je pensais que ce serait plus grand public que ça ne l’est réellement. Par contre, j’ai quand même eux envie de lire les livres. Mais je crois qu’il n’y a pas eu d’édition française depuis longtemps. Il va donc falloir que je les trouve en VO ^^.

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    1. Il semble y avoir eu de nouvelles rééditions en 2018 et 2019, peut-être du fait de la sortie du film. Si ça t’intéresse, j’en ai vu deux à la Fnac, l’un format livre et l’autre format BD. Il y a encore des exemplaires en stock, et d’autres vendeurs les proposent d’occasion.

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