Festival de Cannes 2024 #02 – City of Darkness de Soi Cheang

A Cannes, il y a deux façons de vivre le festival.

Enchainer les séances en journée, ou s’adonner au cinéma de minuit.

Le cinéma de minuit, ce sont les polars, les films catastrophes, de monstres, d’action ou d’horreur, les un peu trash, un peu cyniques, les biscornus.

Il y a longtemps de cela, alors que mes yeux ne tenaient plus qu’avec des allumettes, un documentaire de minuit sur le Rocky Horror Picture Show avait bouleversé ma vision des monstres et des comédies musicales. Deux thématiques qui fonctionnent étrangement très bien ensemble (et Jacques Audiard est bien parti pour nous le prouver).

C’est donc en toute logique que ces séances continuent de m’attirer tel un lampadaire au gaz dans l’obscurité.

(ça, et le fait qu’elles soient rediffusées en journée et soient nettement moins demandées que celles de la sélection officielle.)

Cette année, ô bonheur, on y retrouve un film de Soi Cheang, le réalisateur de Limbo, grand vainqueur du Reims Polar Festival 2023.

Commençons donc par celui-ci, qui a changé de titres plusieurs fois, entre « le crépuscule des guerriers, et « la cité des ténèbres », pour s’arrêter sur ce second choix.

Dans tous les cas, vous l’aurez compris, il est ici question d’obscurité, de clandestinité et de combats.

City of Darkness de Soi Cheang (en haut le crépuscule, en bas les ténèbres)

De quoi ça parle ?

L’intrigue est très classique, mais ce qui compte ici est l’exécution, car le scénario est tiré du manhua City of Darkness écrit par Andy Seto. Il s’agit d’une adaptation BD.

Dans les grandes lignes, un gars arrive dans la cité des ténèbres avec des personnes qui lui courent après pour lui défoncer la tête. (un gros méchant nommé « Big », ce qui est un nom de vrai méchant)

Mais ce gars va être recueilli par un mec sympa nommé « Cyclone » (un gros gentil aux cheveux blancs, on dirait presque un X-men), et il va trouver des alliés, qui vont l’aider à refaire sa vie, parce que dans la cité des ténèbres, chacun aide son prochain en espérant être aidé un jour en retour. C’est une utopie trompe misère, mais qui fonctionne très bien.

Je vous zappe quelques retournements de situation : à la fin, grosse baston entre la team Big et la team Cyclone.

Et il se trouve qu’ils sont tous super doués en arts martiaux.

Pourquoi voir ce film ?

Parce que Soi Cheang a une grande qualité en tant que réalisateur : il tient ses promesses. S’il vous annonce un film noir, il vous fait un excellent film noir, s’il vous annonce un film de kung-fu, il vous fait un excellent film de kung-fu.

Si vous fermez les yeux, et que vous pensez « kung-fu », et que vous les rouvrez, vous vous rendrez compte avoir imaginé à peu près un film comme celui-ci, avec tous les héros et combats épiques que vous pourriez souhaiter. Avec des alliances, des trahisons, des chorégraphies et des cascades, et un certain code de l’honneur entre guerriers.

On y retrouve aussi un des thèmes majeurs du genre : la fin d’un monde et le début d’un nouveau. Ici, cela s’exprime par la cité des ténèbres, ville monde et surtout bidonville que les autorités de Hong Kong veulent détruire pour construire de nouveaux logements. Mais parallèlement à cela, c’est aussi la fin des traditions, des batailles à mains nues et des derniers grands maitres, au profit d’une jeunesse en quête d’émancipation, et parfois prêtes à recourir à des stratagèmes déloyaux pour gagner.

Derrière le rideau kung-fu, Soi Cheang a conservé quelques typicités personnelles qui sont communes à son précédent film, Limbo : des décors très chargés en détails, oppressants, labyrinthiques, très sombres également, et une photographie minutieuse et très nette. Des personnages qui semblent davantage être des forces en mouvement, inarrêtables, que des personnes vivantes. Pas de doute, notre réalisateur n’a pas changé. Il s’adonne simplement, et avec un grand plaisir, aux films de genre en les essayant tous.

City of Darkness a également un petit côté naïf et joyeux, comme s’il s’agissait d’une grande bataille racontée par un enfant. On se prend à courir après un cerf-volant avec la gentille Boulette, ou encore à jouer au mah-jong, avec une bande de garçons amateurs de karaoké et de porno. Les blessés ne saignent pas vraiment. La violence passe presque davantage par le son que l’image. Les méchants sont des proxénètes et des dealers, malhonnêtes de surcroît. Tandis que les gentils sont désintéressés et ne touchent pas à toutes ces choses impures. Manichéisme aidant, cette fois-ci, Soi Cheang n’a plus grand chose à craindre de la censure chinoise qui lui avait interdit de sortir son précédent film à domicile.

Les grands maitres qui dirigent le bidonville ont des allures de super héros. Certains justiciers portent des masques, ou sont reconnaissables directement par leur physionomie. On les croirait parfois pourvus de super pouvoirs, pas loin de voler dans les airs comme dans Tigre et Dragon, ou encore tout simplement invulnérable. (Oui, parce que tant qu’à verser dans le combat extrême… l’adversaire invulnérable est un bon adversaire.)

J’ai eu l’impression de voir une alternative à Marvel/DC Comics/John Wick, traité en mode cinéma asiatique. Il ne fera pas date, mais fut très agréable à voir, et si vous aimez les films d’arts martiaux ou d’action, je vous le recommande chaudement. (Prenez en de la graine, les US !)

A bientôt pour le prochain film de la compétition !

Retrouvez les précédentes chroniques du Festival de Cannes 2024 :

#01 Le Deuxième Acte de Quentin Dupieux

5 commentaires sur « Festival de Cannes 2024 #02 – City of Darkness de Soi Cheang »

  1. Il semble bien commencer ce petit festival 🙂 Il a l’air marrant celui-là, en tous cas comment tu le résumes : un film de super-héros à l’asiatique ^^

    Et au passage, je découvre le terme de « manhua » ! 😉

    Aimé par 1 personne

  2. Je suis chaud comme la braise en lisant cet article il me semble y retrouver toute la rage déjà présente dans « Limbo », ce goût pour les dédales sordides. Et quand je vois la date de sortie (4 septembre), il me tarde d’y être.
    Merci pour ce retour.

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