Film: Les Enfants du temps de Makoto Shinkai

D’après un scénario original de Makoto Shinkai

ENFANTS MONSTRES : LA LÉGENDE DE LA FILLE SOLEIL

Une fois n’est pas coutume, voici un film d’animation japonais tout fraichement sorti au cinéma qui va gagner une place de choix dans ma monstrothèque.

Les Enfants du temps, déjà : ce n’est pas un film de science-fiction. Pas de voyage spatio-temporel, pas de retour vers le futur, d’escapade dans le passé. Ceci n’est pas un remake (qu’on nous en préserve !) des Visiteurs à la sauce samurai.

C’est un film sur la météorologie et le dérèglement climatique.

Ne me regardez pas comme ça, je ne déconne pas. Vous allez effectivement entendre parler nuages et pluie durant 1h50, et je vous jure, c’est intéressant ! Même plus : c’est beau. Vous ne verrez plus de gros moutons blancs dans le ciel sans repenser à ce film.

Cet anime réalisé par Makoto Shinkai (à qui on doit Your Name) s’inscrit dans un genre fantastique, à destination principale des young adults. Aussi, le propos est parfois léger et à forte dose d’humour, avec un soupçon de dystopie…

Préparez-vous également à une énumération de tous les codes des mangas : chats mignons, yeux qui s’écarquillent et blagues sur les nichons.

Passé ce premier aspect un peu convenu, ce film est tout simplement merveilleux.

Il est cinq heures… Tôkyô s’éveille !

Hodaka, un jeune fugueur, prend le ferry jusqu’à Tôkyô pour s’offrir une nouvelle vie. Tout de suite, ses rêves de liberté se heurtent à la réalité : difficile d’obtenir un logement, compliqué de se nourrir, impossible lorsqu’on est mineur de trouver un boulot.

Après plusieurs nuits passées dans la rue et à fuir la police, Hodaka parvient à décrocher un stage dans les locaux éditoriaux d’un journal spécialisé dans les phénomènes paranormaux.

Le début de la gloire ? Pas du tout. Le magazine ne se vend pas bien. Son employeur est un père de famille isolé, cohabitant avec sa nièce, qui a la fâcheuse manie de laisser traîner ses soutiens-gorge partout.

Hodaka, ainsi que son pote le chat errant « Pluie », deviennent les troisièmes et quatrièmes colocataires de ce bateau à la coque percée. Sa première enquête : la légende urbaine des enfants-soleils et enfants-pluie.

« La pluie. La pluie. La pluie. La pluie. Et maintenant, il va faire beau. »

Les Enfants du temps de Makoto Shinkai

Ce n’est pas aussi niais qu’il n’y paraît. L’histoire se déroule au Japon, où tout est prétexte à fantôme et à démon. Le shintoïsme, une des religions les plus importantes de l’archipel, repose sur la communion entre l’homme et la nature. Rappelons que les montagnes, les cascades, les forêts sont potentiellement sacrées, rappelons que les animaux le sont également. Même Amaterasu, la déesse du soleil, figure sur le drapeau du Japon. Oui, vous savez, le gros cercle rouge ? Eh bien c’est elle, c’est la divinité du soleil, réduite à un format clipart.

Le Japon, c’est le pays des dieux multiples. Des religions multiples. On dit qu’il y a autant de croyances que d’habitants. C’est le pays de naissance des yôkai, littéralement « apparitions étranges ». Pas étonnant qu’on y dégote des enfants météo. 

Makoto Shinkai, dans le cadre d’une interview accordée à Allociné, a précisé : quand quelqu’un arrive et apporte avec lui le soleil, on dit : « Oh tiens ! Voilà un enfant-soleil ». Et lorsqu’il pleut souvent en présence d’un enfant : « Oh, et celui-là, ça doit être un enfant de la pluie ».

Ce n’est pas plus compliqué que ça. Tout vient de notre besoin d’interpréter. Comme s’il s’agissait d’un horoscope, chacun en est venu à se poser la question.

Qui suis-je ? Quel astre influence ma vie ?  

Au Japon, tout cela a de l’importance. Voyez tout ce qu’on déduit à partir d’un groupe sanguin. Bientôt, on lira l’avenir dans un bol de nouilles.

Oh, de la pluie qui ne pleut pas !

Et donc… hein. C’est quoi un enfant soleil ? Un gamin qui brille la nuit ?

Pas tout à fait.

Les enfants-soleil et les enfants-pluie ont pour but de relier l’homme au divin. Ils sont choisis par le dieu dragon ou le dieu renard, pour influer sur le temps. En priant, ces enfants réussissent à modifier la courbe d’ensoleillement quotidienne et la barométrie locale. C’est vachement utile dans un pays touché chaque année par de violents typhons.

Si vous avez déjà lu la Mécanique des Tubes d’Amélie Nothomb, vous savez à quel point la pluie peut être dangereuse et les égouts traitres…

Les enfants-soleil vivent sous la pluie. Et pour les enfants-pluie, on peut supposer le contraire…

Dans ce film d’animation, Hodaka va mettre la main sur une fille-soleil répondant au doux nom d’Hina. Vous allez rire, c’est un jeu de mots. « Hi » en japonais s’écrit avec le caractère du soleil. Quel heureux hasard !

Cette rencontre tombe à pic : jamais un mois d’août ne s’est avéré aussi pluvieux. Le déluge s’abat sans interruption, pire encore : il neige. Toute la population japonaise offrirait son âme pour quelques heures au sec.  

Hina et Hodaka vont donc décider de monter leur propre entreprise de vente d’ensoleillement.

Contre 5 000 yens, Hina peut vous apporter pour quelques heures un rayon de soleil sur un lieu précis : un parc, un quartier de la ville, un jardin, tout ce que vous voulez…

Tout va bien dans un monde parfait. (mais humide.)

Sauf que la légende des enfants du temps est plus perverse qu’elle n’en a l’air… Hina et Hodaka l’ignorent, mais pour permettre à la pluie de s’arrêter, il va falloir qu’Hina se sacrifie.

Hodaka s’y oppose formellement. S’ensuit un bref débat moral sur le devoir face au désir.

Je ne vous raconte pas la fin.

Je vous assure qu’elle m’a surprise, le happy end n’est pas au rendez-vous. Et sortez les parapluies.

« Un jour d’été, tout là-haut dans le ciel, nous avons changé la face du monde. »

Les Enfants du temps de Makoto Shinkai

D’un point de vue monstre, les enfants-soleils sont plutôt sympathiques. Déjà, ils sont parfaitement humains, même s’ils deviennent au bout d’un certain temps aussi transparents qu’une goutte d’eau.

L’eau s’évapore de leur corps en se transformant en petits têtards-poissons.

Une fois leur sacrifice acté, les enfants-soleils remontent jusqu’en haut d’un gros cumulonimbus, royaume du dragon, couvert d’une pelouse si verte qu’elle ferait pleurer de jalousie un jardinier anglais.

Le furusato des enfants-soleil. C’est beau.

L’entrée du cumulonimbus à Tôkyô se trouve derrière un torii (une porte rouge censée symboliser le passage entre le monde réel et le monde divin dans la religion shintoïste) située dans un jardin au sommet d’un immeuble.

Les enfants-soleils, lorsqu’ils s’énervent, déclenchent des déluges climatiques. Orages et foudre. Trombes d’eau. Tsunami. À cet instant, le chérubin en uniforme de collégien se transforme en véritable danger ambulant. Nous en revenons aux monstres…

Le film Les Enfants du temps fait aussi la part belle aux teru teru bôzu, ces boules de tissu sympatoches.

Le teru teru bôzu est une poupée artisanale qu’on suspend au cadre des fenêtres pour repousser la pluie. Ça ressemble à de mignons fantômes, avec deux yeux noirs et une bouche souvent en croix. (Pour que l’esprit du teru teru bôzu ne puisse pas refuser votre requête, interdisons-lui de parler)

Parapluie et ses teru teru bôzu

Si vous accrochez un teru teru bôzu, il est indispensable de réciter la petite comptine qui va avec : 

Teru-teru-bôzu, teru bôzu
Fais que demain soit une journée ensoleillée
Comme parfois le ciel en rêve
S’il fait beau, je te donnerai un grelot d’argent

Teru-teru-bôzu, teru bôzu
Fais que demain soit une journée ensoleillée
Si tu réalises mon rêve
Nous boirons beaucoup de saké sucré (amazake)

Teru-teru-bôzu, teru bôzu
Fais que demain soit une journée ensoleillée
Car s’il fait nuageux et que tu pleures
Je devrai te couper la tête

Oui, au Japon, quand une poupée n’exauce pas les souhaits, on la décapite. C’est très intimidant, je vous l’accorde. Je n’aimerais pas être un teru teru bôzu.

Revenons aux Enfants du Temps.

Ce film s’inscrit dans la pérennité des œuvres de Hayao Miyazaki. L’ambiance est proche de l’hôtel à monstres du Voyage de Chihiro ou de Mon voisin Totoro et de ses bestioles poussiéreuses qui hantent les recoins de la maison. Comment ne pas penser à Arrietty des studios Ghibli et du petit monde des chapardeurs ? 

Tous ces films ont une idée commune : notre univers renferme toutes sortes de créatures invisibles, bénéfiques ou maléfiques, qui nous accompagnent à notre insu chaque minute de notre vie. Nous ne les voyons pas parce que nous ne nous y intéressons pas. Mais elles sont tout autour de nous et il suffit de porter notre regard au bon endroit pour distinguer leurs empreintes.   

Dans le rayon série TV japonaise et dans la même veine, Mushishi relate l’histoire d’un spécialiste des insectes-monstres, les mushi. Notre héros va parcourir le Japon pour les attraper et les étudier. « Attrapez-les tous ! »… Mhh, pas tout à fait ça ! Mushishi diffère des Pokémon en bien des points. Mushihi est un seinen (pour adulte) et non un shônen (pour ado). Ensuite, la quête de l’étrange opérée par le protagoniste de Mushishi s’apparente davantage à un travail de documentaliste qu’à un voyage initiatique.

On n’est pas si éloigné de ça de la revue du paranormal tenue par l’employeur de Hodaka.

Je pense aussi à Pompoko de Takahata, de ses mignons petits tanukis accompagnés de nombreux yôkai japonais. Ce film s’engage dans une réflexion importante sur l’impact des hommes sur son environnement dans le contexte précis de la déforestation.

Les Enfants du temps portent une même volonté de parler d’écologie. Cependant, le message autour du dérèglement climatique est bien plus confus. Pour ce genre cinématographique, c’est assez curieux et inhabituel. En effet : pas de réponse tranchée, mais différentes interrogations, entre ceux qui conçoivent que « le monde est devenu fou », et ceux qui supposent que « cela a toujours été ainsi ».

Interrogé sur le sujet, Makoto Shinkai a expliqué que le but du film n’était pas d’affirmer que « les hommes détruisent le monde », mais plutôt de réfléchir à comment vivre, dans un univers déjà déréglé.

Yatta ! La fin du monde !

Pourquoi pas après tout. C’est le propre des animes japonais de ne pas chercher à imposer par tout moyen une morale. Susciter le débat par un questionnement est déjà un bon début.

Dans nos cinémas occidentaux, nous abordons la question de la nature et du changement climatique sous un autre angle. Le plus souvent, le message passe en force par le biais de films-catastrophes ou par des documentaires. La science vient remplacer les légendes. Nous autres ne croyons plus vraiment au pouvoir des esprits.

Les films de fiction reposant sur une idée d’une pluie incessante ne sont pas légion. On cause parfois tempête, ouragans et typhons, mais il s’agit de tragédies ponctuelles. À noter la sortie récente de Crawl en 2019, sur les inondations en Floride, avec de jolies bestioles dans l’eau qui donnent envie de nager vite. La Grande inondation, sortie en 2007 en format téléfilm, propose une immersion de la ville de Londres. (Dans tous les sens du terme…sortez les bouées !) Et le Jour d’Après, avec toutes les manifestations possibles du mauvais temps.

Il y a cependant une exception à la règle. Une exception ULTIME dans laquelle une catastrophe climatique vient servir une histoire d’amour. Un jour sans fin présente l’histoire d’une tempête de neige qui dure, qui dure, qui dure… jusqu’à ce que notre héros parvienne à séduire la femme de sa vie.

Pour finir, je ne peux me retenir de faire un parallèle avec d’autres films d’enfants aux étranges pouvoirs. Si vous voulez voir la jeunesse sous un angle plus… machiavélique, lisez La Nuit des enfants rois. (roman de Bernard Lenteric) ou cherchez son adaptation cinématographique The Prodigies. (film d’Antoine Charreyron)

Tous les superhéros ne sont pas nécessairement bienveillants.

Et les enfants-soleils seraient peut-être bien les premiers à vous le dire…

Sources : Wikipédia (beaucoup), Allociné et un magazine ciné dont je recherche le nom

3 commentaires sur « Film: Les Enfants du temps de Makoto Shinkai »

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